Bonjour Rich ! The Magpie Salute ressemble de l'extérieur à une fusion entre les Black Crowes et ta formation solo. Comment est né The Magpie Salute ?
Rich Robinson : Un peu de cette manière à vrai dire. J'étais en tournée pour mon dernier album solo "Flux" (2016) et j'ai eu une opportunité avec un studio que je fréquente de temps en temps où tu enregistres pendant la journée devant un public de manière live (ndlr : les Woodstock Sessions). Je m'étais déjà livré à cet exercice en solo en 2014 et j'avais trouvé l'expérience vraiment cool. Je m'étais dit que je le referai volontiers, mais je voulais que cela soit différent de la première fois et j'ai donc souhaité le faire avec des invités à mes côtés. Depuis que j'ai quitté les Black Crowes et que je joue et tourne avec davantage d'autres gens, je réalise à quel point c'est spécial de jouer avec les musiciens avec lesquels tu possèdes une connexion musicale très forte et nous avons toujours eu cela avec Marc Ford. Dès l'instant où il a intégré les Black Crowes, nous avons accouché dans la foulée de "The Southern Harmony And Musical Companion" (1992). Mon frère Chris et moi-même avons écrit cet album en seulement deux jours dans le garage de Chris et nous l'avons enregistré en seulement huit jours. Lorsque Marc est arrivé, il a instantanément dû enregistrer ses parties sans avoir le temps de trop réfléchir et dès la première note, nous avions tous les deux cette alchimie particulière à la guitare. Mais il y avait malheureusement trop de négativité, de drogues, de folie, de querelles et de conneries inutiles au sein des Black Crowes, si bien qu'avec Marc, nous n'avions jamais eu la chance de pouvoir développer une relation personnelle et de nous connaitre réellement. Il y avait toujours Chris au milieu de nous deux, mais d'un point de vue musical, nous avons toujours eu une relation parfaite avec Marc. C'est pourquoi j'ai pensé à l'appeler lorsque j'ai voulu inviter des musiciens pour ce concert spécial en studio.
Marc Ford avait d'ailleurs réintégré les Black Crowes en 2005 mais pour une très courte durée.
Oui ça n'avait duré qu'une année car tous les drames et les non-sens relatifs aux Black Crowes ont de nouveau pointé le bout de leur nez et Marc ne voulait absolument plus être associé à cela. Pour revenir sur ce concert, je voulais des gens avec qui j'avais cette connexion spéciale et j'ai donc pensé à Marc, mais aussi à Eddie Harsch avec qui j'avais également cela. J'ai appelé Marc pour lui proposer et il m'a répondu du tac au tac : "peu importe où c'est, j'arrive!" ce qui était très cool de sa part étant donné que nous ne nous étions plus adressé la parole depuis dix ans. Nous voulions donc voir à partir de là ce qui allait se passer entre nous et cela a marqué véritablement nos premiers échanges en tant qu'être humain, ce qui peut paraitre fou après tout ce temps passé ensemble dans un bus, dans un environnement très intime, mais toujours séparé par quelqu'un au point de ne pas nous connaitre. J'ai donc invité Marc à venir faire partie de mon truc, Sven Pipien quant à lui jouait déjà avec moi à ce moment-là. Nous avons rajouté les choristes et tout le reste et cela devait à l'origine durer le temps d'un weekend, mais les gens présents ont senti comme nous qu'il se passait quelque chose de magique, et ce n'est pas seulement parce qu’ il s'agissait d'une performance réunissant plusieurs membres des Black Crowes, mais c'est surtout que nous jouions à nouveau ensemble avec Marc et Eddie. C'était intéressant car tout le monde était là avec un lien plus ou moins direct avec les Black Crowes et même notre chanteur John Hogg en ayant ouvert certains de nos concerts avec son ancien groupe tandis que Marc, Eddie, Sven et moi jouions ensemble dans les Black Crowes. Joe Magistro a joué sur tous mes albums solo et Matt Soclum venait d'intégrer mon groupe. Il y avait trois contextes différents entremêlés et qui ont fonctionné à merveille sur ce weekend, mais cela devait s'arrêter là. Je repartais ensuite dans mon tourbus pour finir ma tournée et c'est là qu'Eddie Harsch m'a dit : "Rich, il faut que nous continuions cette aventure!". J'étais d'accord avec lui et j'y ai beaucoup réfléchi sur le reste de ma tournée. A la fin de cette dernière, je me trouvais au Texas et je pensais à toutes ces choses, comment faire fonctionner ce groupe, quelles chansons jouer etc...C'est là que j'ai trouvé le nom de The Magpie Salute, car ce groupe était un cousin des Black Crowes en quelque sorte. J'aimais aussi le concept de l'équilibre entre la lumière et l'obscurité. Nous avons vite mis des places en vente pour un concert qui a affiché complet en à peine 20 minutes ! Nous en avons alors rajouté pour arriver à 4 concerts, tous complets en 20 minutes chacun. Je me suis dit alors qu'il y avait un réel intérêt de la part du public et c'est là que j'ai pensé à dire à John Hogg d’intégrer le groupe. Il était partant, tout allait pour le mieux et c'est à ce moment-là qu'Eddie est décédé, ce qui a été évidemment un véritable choc. Il est mort avant même que nous commencions pour de bon, mais il avait tellement envie d'en faire partie, que nous avons souhaité poursuivre l'aventure et que nous n'avons pas tardé à partir en tournée.
On peut imaginer que le décès d'Eddie aurait très bien pu mettre un terme d'emblée au projet n'est-ce pas ?
Oui cela aurait pu être le cas effectivement, mais tout le monde voulait jouer ensemble et Eddie le voulait vraiment aussi. Nous avions donc sous le coude cet album enregistré live (ndlr : "The Woodstock Sessions", le dernier enregistrement d'Eddie Harsch) et nous avons décidé de le publier et de partir en tournée pour le défendre et honorer ainsi la mémoire d'Eddie. C'est aussi pour cela que nous étions dix dans le groupe à ce moment-là, nous devions plutôt ressembler à une revue j'imagine. Nous étions dans l'optique d'une grande célébration de la musique que nous avions faite soit ensemble soit séparément et aussi celle que nous aimions tous lors de la tournée de l'année dernière. Nous célébrions les Black Crowes évidemment, mais aussi Led Zeppelin, The Rolling Stones, Neil Young, Bob Dylan et nos répertoires solos respectifs. C'était le menu de notre première tournée et c'est pour cela que nous voulions la faire à dix sur scène. Puis au fur et à mesure que la tournée avançait, nous avons alors ressenti le besoin de composer un vrai premier album et de voir à quoi cela allait ressembler. Toute la célébration de l'année dernière était une super manière de débuter, mais au moment de créer de la nouvelle musique, il fallait nous concentrer sur le noyau du groupe et c'est pour cela que nous ne sommes plus que six aujourd'hui. Il y a une vraie différence. A dix The Magpie Salute était une célébration, maintenant que nous sommes six, il s'agit d'un vrai groupe !
Peux-tu nous présenter votre chanteur John Hogg ?
C'est vrai et c'est dû à l'alchimie que nous avons avec Marc. Il est très bon pour comprendre ce dont une chanson a besoin et il anticipe très bien où je veux en venir dans mon jeu et mes compos et il complémente toujours mes parties à merveille. Nous sommes véritablement un complément l'un pour l'autre car cela fonctionne de la même manière lorsque c'est Marc qui écrit une chanson. J'apporte alors des choses complémentaires à ses parties. Nous avons ce truc tous les deux où à chaque fois que nous entendons la musique de l'autre, cela nous dicte littéralement quoi apporter pour la compléter.
Tu étais le compositeur principal des Black Crowes au niveau de la musique. Comment fonctionnez-vous dans The Magpie Salute ?
Nous avons écrit cet album tous les trois, avec Marc et John. C'était très différent de la manière dont cela se passait dans les Black Crowes. Prends par exemple un titre comme "Sister Moon" qui a été composé par Marc et John. Marc est arrivé avec cette chanson composée à la guitare et John l'a transposée au piano et y a rajouté des choses. Ils ont également écrit "Take It All" et "Walk On Water" ensemble et il n'y avait aucune raison que j'ajoute quoi que ce soit à ces chansons. Elles n'avaient pas besoin de ma contribution, je les trouvais très bonnes ainsi. De mon côté, j'ai écrit "Mary The Gypsy", "Can You See" et "You Found Me" et nous avons composé ensemble avec John "Send Me An Omen", "For The Wind", "Hand In Hand" et "Color Blind". C'était comme si nous nous étions retrouvés tous les trois autour d'une table à présenter nos idées respectives, avec la priorité de servir les chansons et rien d'autre. "Sister Moon" n'a pas besoin de guitare, il n'y avait donc aucune raison que je vienne en rajouter.
C'était donc un processus d'écriture très ouvert contrairement aux Black Crowes où il fallait que chaque chanson soit l'œuvre des frères Robinson et de personne d'autre...
Oui c'est quelque chose qui était établi dès le début. Nous avions formé le groupe, nous tenions à être les seuls compositeurs et nous le disions d'entrée de jeu à tous les musiciens qui nous rejoignaient. C'était ainsi et pas autrement et ça a été le cas pendant toute notre carrière. C'est très différent pour The Magpie Salute où je voulais vraiment profiter des talents d'écriture et des goûts différents de Marc et de John. Marc a par exemple une manière de composer beaucoup plus simple que la mienne et j'ai exactement besoin de cela ! A l'inverse Marc a parfois besoin des éléments que je peux apporter à ses chansons. John quant à lui apporte quelque chose de très différent par rapport à nous deux, il apporte une sorte de sensibilité anglaise et le fait de mélanger nos trois approches donne quelque chose comme "High Water I".
Le nom du groupe, The Magpie Salute, fait également référence à un oiseau (la pie en lieu et place du corbeau) ce qui rappelle évidemment les Black Crowes. Est-ce pour marquer une volonté de vouloir perpétuer l’esprit des Black Crowes ?
Je voulais surtout continuer à jouer de la musique entouré de gens que j'apprécie ! Mais j'aurai inévitablement la même manière de composer et s'il y a des chansons de The Magpie Salute qui peuvent faire penser aux Black Crowes, c'est parfaitement logique vu que c'est moi qui ai écrit ces chansons dans les deux cas! Mais je n'ai jamais eu l’intention de vouloir sonner comme les Black Crowes, cela ne serait pas sincère, même si ça arrive naturellement par moments. Je pense d'ailleurs avoir couvert pas mal de terrains musicaux différents au cours de ma carrière car rien qu’en prenant "Shake Your Money Maker" (1990), "Amorica" (1994), "Three Snakes And One Charm" (1996) et "Lions" (2001), le spectre musical est déjà très large ! Si tu ajoutes à cela le reste de la carrière des Black Crowes et mes albums solos, cela fait un rayon d’approches différentes conséquent, même si mon son fait toujours office de fil conducteur. Les Black Crowes avaient un son spécifique car il s'agissait de mon son de guitare avec la voix de Chris. En jouant de nouveau avec Marc et en ajoutant John, The Magpie Salute sonne de manière intéressante car c'est à la fois quelque chose de familier et de nouveau ! Il faut également souligner l'apport de Joe Magistro qui est sans aucun doute le meilleur batteur avec lequel j'ai joué dans ma carrière. C'est un musicien fantastique et archi complet, capable de jouer n'importe quel style de musique. Avant c'était moi, Sven et Steve Gorman dans les Black Crowes, mais lorsque la section rythmique consiste en Sven et Joe, cela amène beaucoup de changement tout comme l'apport de Matt Soclum aux claviers.
L'album s'intitule "High Water I". On peut supposer qu'il y aura un second volet n'est-ce pas ?
Absolument et il est d'ailleurs déjà enregistré. Nous avons mis en boite les deux albums en même temps et "High Water II" sortira début 2019. Nous voulons que les gens aient suffisamment de temps pour s'imprégner de ce premier volet et de le digérer avant de publier le second.
A partir de la reformation des Black Crowes en 2005, vous avez considérablement négligé le territoire européen au niveau des tournées. Etant donné que The Magpie Salute a déjà joué à Paris l'année dernière avant même d'avoir un vrai album studio, on peut penser que vous serez plus présents en Europe n'est-ce pas ?
Tout à fait. Nous allons tourner beaucoup plus en Europe avec The Magpie Salute. Après avoir donné quelques concerts en trio au mois d'août, nous reviendrons avec le groupe au complet au mois de novembre (ndlr : le 10 novembre à Paris et le 15 novembre à Marseille).
Tu as visiblement perdu une immense partie de ton matériel il y a quelques années dans une inondation. Peux-tu nous raconter ce qu'il t’est arrivé ?
L'ouragan Sandy a frappé New York et tout mon matériel était stocké là-bas. J'ai effectivement pratiquement tout perdu. Quatre guitares ont pu être restaurées, mais j'en ai perdu soixante-dix autres ainsi qu'absolument tous les amplis et il y en avait beaucoup !
Désolé de te rappeler ce mauvais souvenir. Je n'avais entendu que la bonne partie de l'histoire, à savoir que certaines de tes guitares sonneraient apparemment mieux depuis qu'elles ont été restaurées...
C'est vrai pour deux d'entre elles. Ma Les Paul Goldtop sonne mieux que jamais par exemple mais à l'inverse mon ES-335 sonne désormais moins bien, mais elle était pratiquement entièrement démantelée lorsque je l'ai récupérée. Mais il ne s'agit que de matériel au bout du compte. Evidemment ça craint lorsque quelque chose comme ça t'arrive mais cela te fait également réaliser qu'il ne s'agit au final que de bois avec des cordes dessus. Il y a des tonnes de très bonnes guitares partout dans le monde. Rien qui ne soit irremplaçable en somme. Cela te donne une leçon de vie d’une certaine manière, cela t'apprend qu'il y a des choses bien plus importantes dans la vie que tout un tas de bordel empilé au fil des années. Ce ne sont que des objets, rien de plus.
Du coup quelles guitares as-tu utilisées sur "High Water I" ?
J'ai beaucoup utilisé ma Gretsch White Falcon Masterbuilt que Steve Stern a fabriquée pour moi, ainsi qu'une Black Falcon, mon ES-335, ma Les Paul Goldtop, mon SG, ma Dan Armstrong 60's, une Stratocaster blanche, une Telecaster jaune, une Dan Armstrong 12 cordes et une Telecaster B-Bender. J'ai également emmené avec moi mes guitares acoustiques, à savoir mes deux Martin, quelques Gibson et des dobros.
Et niveau ampli ?
Il y avait mon Marshall JMP 50W de 1971 que je possède depuis "Amorica". Je me suis également resservi du Marshall Silver Jubilee sur lequel je jouais pour les tournées de "Shake Your Money Maker" et "The Southern Harmony And Musical Companion". J'ai ces deux amplis depuis toujours et j'ai également utilisé un Vox AC30 ainsi qu'un ampli Reason, qui a été fait sur mesure pour moi par Obeid Khan qui a conçu des amplis pour Magnatone et Ampeg.
Tu n'utilisais plus vraiment de Marshall récemment n'est-ce pas ?
J'utilisais principalement des Marshall à l'époque des deux premiers albums des Black Crowes car c'était les seuls amplis que je possédais. J'avais donc enregistré avec ceux-là, mais à partir d' "Amorica" nous avons commencé à faire l'acquisition d'autres amplis comme des Matchless pour ne citer qu’eux. A ce stade de notre carrière, nous étions en mesure de pouvoir nous payer des amplis boutique et des amplis vintage comme des Fender Tweed ou des Marshall Bluesbreaker. Mais ce Silver Jubilee sonne vraiment particulièrement bien avec mon jeu pour une raison que j'ignore. Je ne me sers que du canal rhythm que je pousse très fort mais avec un son assez clair, très peu d'overdrive dessus.
Pour finir, dans les Black Crowes tu te chargeais davantage des parties rythmiques pendant que Marc Ford se concentrait sur les solos, mais à partir du moment où le groupe a commencé à beaucoup improviser sur scène, tu jouais également quelques solos et tu es également très bon dans l'exercice. Avez-vous redistribué les cartes dans The Magpie Salute ?
Je ne sais pas vraiment car je ne dissèque jamais les choses ainsi, même si effectivement je pense avoir joué beaucoup plus de solos sur cet album que ce que je faisais avec les Black Crowes. C'est toujours très aléatoire. Parfois je vais jouer un solo de slide, parfois ce sera Marc. Parfois je vais me charger du solo, d'autres fois au contraire je ne ferai que quelques licks pendant que Marc se chargera du vrai solo et je ne pourrai même plus te dire qui fait quoi sur telle ou telle chanson tellement c'est différent à chaque fois et qu'aucune règle n'est établie.
Et de toute manière dans les Black Crowes et The Magpie Salute, ce n'est pas comme s'il y avait réellement une partie rythmique et une partie lead. Il y a très souvent deux parties de guitare très différentes l'une de l'autre, mais je voulais te poser la question car en live je te trouvais très bon en solo lors des jam avec les Black Crowes...
Merci mais le truc c'est que dans les Black Crowes mon frère Chris parlait beaucoup contrairement à moi. Du coup j'ai très vite abandonné sur tout un tas de choses et je l'ai laissé décider. Les gens ont souvent dû se dire que ce que Chris déclarait reflétait également ma pensée, mais la plupart du temps ce n'était tout simplement pas le cas. Le truc avec les solos est que dans les Black Crowes nous ne jouions pas de simples progressions d'accords genre C-G-D (Do-Sol-Ré). Le moteur des chansons était toutes ces parties de guitare alambiquées et mon rôle était de créer des chansons et donc de jouer ces parties la plupart du temps. L'autre truc c'est que nous utilisions également plein d'accordages différents. J'ai dû apprendre à jouer des solos dans quinze accordages différents, ce qui est intéressant car cela m'a beaucoup fait avancer à la guitare, mais rien de tout cela n'était très conventionnel !
Crédits photos : David Mc Clister