En musique la reproduction des grands standards est une étape importante et motivante. Puis avec l'expérience et la pratique, on parvient progressivement à s'en libérer pour improviser et créer de nouveaux morceaux. C'est une logique similaire qu'applique Pierre-Benoît Prud'homme dans la conception de ses pédales d'effets Thrilltone conçues et fabriquées en France. Plutôt que de reproduire les pédales existantes, il cherche à créer ses propres solutions innovantes aux besoins des guitaristes pour leur ouvrir en retour un univers riche de nouveaux sons, de nouvelles nuances et de nouvelles possibilités. PB est à la base un guitariste passionné mais insatisfait de sa chaîne d'effets, qui est devenu un artisan passionnant comme vous pourrez le lire dans ses réponses.

Salut Pierre-Benoît, peux-tu te présenter et nous expliquer quand et comment est né Thrilltone ?

Salut Jude, et merci pour cette interview ! Ecoute, je crois que Thrilltone, c’est un peu la conséquence de plein de petits concours de circonstances, mais au final, ça parait assez logique que j’en sois là. Je suis Pierre-Benoît 39 ans, alsacien, musicien, ingénieur et papa. Le lien entre la musique et la technique chez moi est assez ancien… Petit, j’ai toujours été intéressé par « bricoler des trucs », et j’ai toujours baigné dans l’univers de la musique (au départ, j’ai reçu une formation d’altiste, plutôt classique). Aussi loin que je me souvienne, le premier truc que j’ai eu envie de fabriquer quand j’ai reçu mon premier coffret d’électronique à 8 ans, c’était une batterie qui faisait de la lumière quand je tapais des peaux en papier d’alu… du très haut niveau, ahahah !

Bref, comme tous les ados, je me suis mis à la guitare, comme tous les étudiants, j’ai étudié (du coté de Lyon), et comme tous les ingénieurs en électronique, j’ai fini par bosser en région parisienne…  

A cette époque, avec mes premiers salaires, je me suis pas mal fait plaisir et j’ai fini par accumuler pas mal de matos. Tu vois, le syndrome du mec qui croit qu’il va jouer mieux avec une nouvelle pédale ? ben c’était moi… Je passais plus de temps à tourner des potards, qu’à faire de la musique, et petit à petit, le plaisir de jouer s’est en allé… J’ai tourné en rond comme ça pendant un moment, à m’ennuyer sans progresser, jusqu’au jour où j’ai tenté une expérience dingue : j’ai branché ma guitare directement dans mon ampli… et j’ai pris une grosse tarte ! Je redécouvrais toute la palette de nuances, de subtilités de jeu, qui s’étaient complètement noyées dans ma chaine d’effet… Ce jour-là, j’ai tout viré… j’ai redécouvert mon instrument et retrouvé le plaisir de jouer. C’était trop bon…

Après quelques mois au régime sec, sans effet, l’idée de compléter ma palette sonore s’est à nouveau fait sentir, mais ça ne pouvait certainement pas se faire au détriment de l’expressivité, et mes expériences précédentes ne m’avaient pas spécialement rassuré sur ce point. C’est à peu près là, en 2012, que j’ai décidé que plutôt que d’acheter des effets dont j’allais sans doute me lasser assez vite, j’allais mettre à profit mon savoir-faire professionnel pour créer les effets qui répondrait vraiment à mes attentes… La suite, c’est une histoire de doigt que l’on met dans un engrenage, qui vous aspire tout entier… ☺

© naissa_be

Quel est ton parcours professionnel / technique / académique et ce qui t’a amené à cette activité ?

Du coup, tu t’en doutes, la musique a pris une place importante assez tôt dans ma vie, même si à la base je suis plutôt d’une formation classique, puisque j’ai été altiste pendant plus de 10 ans. A partir de 14-15 ans, j’ai amorcé ma transition vers le rock’n roll et je me suis mis à la guitare, d’abord acoustique puis électrique au début de mes études. A cette époque, j’aimais bien toucher à tout, donc j’ai pas mal joué, écrit et commencé à mettre les mains dans la MAO et le Home Studio.

Par la suite, j’ai bien renforcé mon background technique. Après 5 années d’études (à CPE-Lyon) et quelques mois supplémentaires de stages en France et à l’étranger, j’ai obtenu un diplôme d’ingénieur en électronique en 2003. J’ai eu la chance de pouvoir commencer à bosser assez rapidement en 2004 dans une boite parisienne assez connue qui faisait entre autres des kits mains libres Bluetooth et des drones de loisirs. Le grand plongeon dans l’industrie. J’y ai commencé en tant qu’électronicien, et puis progressivement, j’ai évolué vers des rôles plus transversaux, en interfaces avec tous les métiers (développement logiciel, mécanique, hardware, industrialisation, production etc…) Ça  m’a donné une vision hyper large de la conception de produits électroniques, c’était hyper intéressant.

En 2009, je suis devenu papa et me suis installé avec ma famille à Strasbourg, où je bosse depuis dans la gestion de projets pour diverses boites.

Tu as développé ta propre technologie brevetée de Cellular Clipping. Peux-tu nous expliquer (pour le commun des mortels non techniciens) de quoi il retourne ? S'agit-il d'une réflexion pragmatique (1+1=2 donc cellular clipping), as-tu eu un "Eureka j'ai trouvé" ou est-ce un heureux accident après de multiples expérimentations ? 

Lorsque j’ai commencé à bosser sur mon premier overdrive en 2012, je cherchais des sonorités très chaleureuses et des crunch particulièrement doux. Il fallait aussi que la pédale soit très réactive à la dynamique de la main droite pour préserver l’expressivité qui j’avais si longtemps perdue… voilà... c’était ça mon cahier des charges… A cette époque, je ne m’étais jamais vraiment penché sur les entrailles des pédales d’overdrive, et je me suis bien gardé de le faire, pour laisser libre court à mes propres solutions. Voici dans les grandes lignes le cheminement qui m’a amené au Cellular Clipping… Allez, accroche toi, c’est parti !

Une nouvelle façon de gérer l'écrêtage du signal

Disons qu’en tant qu’électronicien, je sais que pour créer un overdrive, il faut créer une saturation sur le signal de guitare, c’est-à-dire l’amplifier jusqu’à « raboter » les crêtes du signal à cause de limites de l’ampli. Ensuite, il parait assez logique que plus le coup de rabot sur les crêtes est brutal, plus la saturation est violente et plus mon overdrive sonnera comme une Metal Zone. Mieux vaut donc « raboter » ce signal avec douceur. Si on jette un œil sur les overdrives classiques, on se rend vite compte que le coup de rabot est confié à une paire de diodes, qui sont des composants électroniques à qui on n’a pas vraiment appris la subtilité. Pour faire simple, une diode c’est un composant très binaire (bloquée ou passante en fonction de sa tension de polarisation). Personnellement, l’idée d’utiliser un composant binaire pour générer un écrêtement doux m’a toujours laissé un peu perplexe… 

L’idée qui a germé ensuite a été de se dire qu’associée à d’autres composants, comme des résistances, pour former ce que j’appelle une cellule de clipping, la diode garde son côté binaire, mais ne peut apporter qu’une petite partie du coup de rabot. Pour appliquer un coup de rabot complet, il faut donc associer plusieurs cellules entre elles, pour qu’elles viennent l’une après l’autre apporter leur contribution et enrichir le contenu harmonique du signal. Comme elles sont agencées en série, une cellule ne peut s’activer que si la cellule précédente a été activée, ce qui permet de garantir le côté progressif de l’écrêtement. Pour faire simple, plus tu tapes fort avec ta main droite, plus le nombre de cellules actives est important, et plus le contenu harmonique délivré est riche… c’est la garantie de l’expressivité dans l’overdrive !

Ça c’est pour la partie concept théorique. Evidemment, sur le papier ça parait très intéressant, mais on a toujours aucune idée de comment ça sonne avant le premier proto… Alors, je me suis lancé, et j’avoue que je n’ai pas été déçu ! Après ça, il y a eu pas mal de mises au point, d’ajustements, de tests, d’échecs aussi, pour aboutir à la version de la Drive Recovery d’aujourd’hui.

C’est vraiment cette démarche que je tiens à appliquer depuis sur toutes mes pédales. Rester ouvert, faire mes propres expériences, découvrir par moi-même les choses qui me sont encore inconnues et tracer mon chemin, sans m’embarrasser des veilles habitudes des références vintage… Et globalement, je suis plutôt satisfait du résultat ! ;)

Premier proto de la Drive Recovery (1 Drive + 1 Volume)

Comment cette technologie, mise au point à la base pour les saturations de tes pédales Fire Booster et Drive Recovery, est-elle applicable à l'effet de Tremolo de la The Great Escape ?

C’est une très bonne question (mais attention la réponse peut vite donner la migraine, haha…)! C’est sûr que le chemin entre une technologie de drive et un tremolo n’est pas franchement évident. Si on veut rester assez succinct, disons que j’utilise des amplis de type Cellular Clipping exactement comme nos anciens utilisaient des lampes dans les amplis pour générer un tremolo. Le point commun est que l’on applique une modulation sur la tension de polarisation des amplis, ce qui a pour effet de moduler le gain, et qui créé un bias tremolo. Ce qu’il faut retenir, c’est que cette technique n’est pas nécessairement transparente, mais apporte des modulations très organiques, douces et chaleureuses, exactement comme le ferait une lampe. C’est ce qui donne ce grain vintage aux modulations de The Great Escape.

J’ajouterai aussi que c’est une solution qui permet d’éviter d’utiliser des photorésistances, qui sont bourrées de substances dangereuses pour la santé et l’environnement et que l’on trouve encore par exemple dans tous les tremolos optiques… 

"Si certains guitaristes sont plutôt conservateurs, ils y en a aussi beaucoup d’autres qui sont dans une démarche plus créative"

La question qui fâche : tu revendiques le droit de continuer à inventer et partir d'une feuille blanche plutôt que de cloner ce qui a déjà été fait et refait. C'est une approche très intéressante mais n'est-ce pas aussi un pari risqué ? Les guitaristes sont supposés être très conservateurs, ne vont-ils pas manquer de repères sur les possibilités ou la "personnalité" de tes effets d'OD et Distorsion ? C'est l'occasion de nous présenter tes pédales stp.

Oui, tu as tout à fait raison, c’est beaucoup plus risqué d’avoir une démarche créative plutôt que conservatrice. Les temps de développement sont plus longs, tu as beau avoir passé des semaines à bosser sur un effet, tu n’as pas d’idée sur la qualité du rendu sonore avant le premier proto… et lorsque la pédale est finalisée, tu n’as aucune garantie d’en vendre des palettes… 

Après si certains guitaristes sont plutôt conservateurs, ils y en a aussi beaucoup d’autres qui sont dans une démarche plus créative, à la recherche de leur propre identité sonore, et qui trouvent chez Thrilltone des éléments nouveaux qui stimulent justement leur créativité. 

C’est le cas par exemple de The Great Escape. Outre la technologie de génération du tremolo qui vient apporter une touche chaleureusement vintage, j’y ai rajouté un détecteur d’enveloppe qui permet de moduler à la fois la vitesse et la profondeur de l’effet d’un simple coup de médiator. Il devient donc possible de renforcer l’effet, de l’atténuer (voir de le faire disparaitre), de faire accélérer la modulation ou de la ralentir rien qu’en jouant avec la dynamique de la main droite. Et le résultat est vraiment hyper intéressant. Concrètement, c’est vraiment un effet très créatif qui donne rapidement plein de nouvelles idées !

 

Pour les drives, Fire Booster et Drive Recovery sont les versions les plus sages, et la Fuel to Fire est la version un peu plus velue. Leurs points forts sont vraiment la préservation de l’expressivité et leur capacité à restituer les nuances de la main droite. La techno Cellular Clipping apporte pour le coup une belle chaleur typée lampe, et une belle explosivité. Comme le traitement analogique ne martyrise à aucun moment le signal, elles sont également très transparentes, et donc très respectueuses de la signature initiale. C’est aussi une qualité de drive très recherchée chez les guitaristes.

La dernière-née est sortie il y a quelques jours. Il s’agit de la Silex, qui est un Clean Boost qui a la particularité de pouvoir être contrôlé au pied en temps réel grâce à une molette. L’intérêt, c’est de pouvoir aller chercher le sweet spot de son matos à tout moment… Une fois encore, la technologie Cellular Clipping apporte une grande transparence (ce qui pour un clean boost est plutôt pertinent), au point que lorsque le gain est réglé au minimum, la pédale se comporte exactement comme un buffer. Même si je n’ai pas encore beaucoup de recul sur le sujet pour le moment, je peux te dire que l’accueil réservé à la Silex par les guitaristes a été pour le moins chaleureux ! ☺

À qui s’adressent tes pédales, musiciens amateurs, confirmés ou pro ? Peux-tu nous citer quelques artistes Thrilltone ?

Clairement, les pédales que je sors s’adressent à des guitaristes plutôt expérimentés, qui ont revendu leur multi-effet numérique depuis un bail et qui ont commencé à chercher leur propre identité sonore. Elles sont aussi conçues pour bien réagir à toutes les nuances et les subtilités de jeu et sont donc très appréciées des guitaristes qui exploitent à fond la dynamique de jeu de la main droite, comme par exemple Charlie Fabert de Rosedale qui a pas mal utilisé la Great Escape sur leur dernier album Wide Awake.  

D’autres apprécient la transparence de mes drives, pour « mouiller » un peu plus leur son, sans l’emmener vers des territoires trop éloignés. C’est le cas de Popy de No One Is Innocent qui trimballe avec lui une Drive Recovery sur le Frankenstein Tour

Verra-t-on un jour un ampli Thrilltone avec Cellular Clipping ?

C’est pas impossible, c’est un sujet sur lequel j’ai déjà eu quelques réflexions et je suis à peu près sûr que ça marcherait bien… Je pense qu’un jour je m’y collerai et je ferai un proto et on verra ce que ça peut donner… mais bon, disons que pour le moment ça ne fait pas partie de me priorités…

As-tu été approché par des fabricants industriels connus qui souhaiteraient récupérer ou utiliser ta technologie ?

J’ai effectivement déjà eu des discussions avec des fabricants pour évoquer des collaborations. Rien de concret pour le moment mais si quelque chose se fait, ça prendra sans doute plus la forme de projets communs, plutôt que de de sombres histoires de licences et de droits d’exploitations de technologies.

As-tu déjà d'autres applications en tête pour le roller que tu as développé sur la Silex ? Par exemple pour ajuster l'intensité du tremolo ? ou simplement créer une pédale de contrôle externe compatible à d'autres pédales ? 

Oui bien-sûr, la liste des projets à réaliser s’est bien allongée depuis l’arrivée du roller ! Pour tout dire, je suis déjà en train de faire tester un proto de pédale de volume + expression sur ce format… Si les retours sur ce proto sont concluants, et que la Silex tourne bien, ça pourrait se faire assez vite.  

 

Pourquoi as-tu choisi un nom anglais pour ta marque de pédales fabriquées en France ? L'export représente-t-il une part importante de ton chiffre d'affaire ?

L’export reste pour le moment une part assez marginale de mon chiffre d’affaire. Pour l’instant je reste très focalisé sur le marché français, ce qui me permet de bien étoffer la gamme des effets avant d’attaquer à l’international.

Sur que le choix du nom à consonance anglaise, disons que l’idée était de trouver un nom qui traverserait plus facilement les frontières et qui ouvrirait potentiellement plus facilement sur le marché international… Même si les pédales sont intégralement conçues et fabriquées en France, le coté Cocorico – Baguette – Camembert ne s’exporte pas forcément très bien à l’étranger…  

Quelle est ton actu et/ou tes projets à court et moyen terme ? 

Bon, ce qui est sûr c’est que les idées ne manquent pas… entre le contrôle des effets avec la dynamique de jeu et l’arrivée du roller, il y a vraiment beaucoup de nouvelles combinaisons que je souhaiterais explorer… Le plus dur sera sans doute de choisir quoi faire… Un phaser et un délai façon the Great Escape, ça le ferai carrément je pense… Mais pour le moment je mets d’abord en place un certain nombre de choses qui me permettront de gagner beaucoup de temps sur les prototypages et donc de proposer de nouveaux modèles plus régulièrement… Bien–sûr je vous tiendrai au courant sur le Topic Pro de Thrilltone !

Le mot de la fin, ton message à la communauté de Gcom ?

A propos de Topic Pro, n’hésitez pas à y faire vos suggestions, à partager vos idées, sur les effets que vous voudriez voir sortir de l’atelier, je suis sûr que vous avez plein d’idées ! En attendant soyez créatifs, soyez expressifs et restez curieux ! ;)

Liens

Le site Thrilltone

Le Topic Pro 

Cette rubrique est destinée à mieux faire connaître les artisans présents en Topic Pro dans nos forums. Si vous souhaitez plus d'infos sur ce service pour être présenté vous aussi en [Pleins Feux sur], écrivez à Jude à l’adresse jude[@]guitariste.com (retirez les crochets).

[Plein Feux Sur] Thrilltone : l'innovation avant tout