C'est à l'occasion du Paris Guitare Festival de Montrouge que Nono (NeoGeoFanatic) a recueilli les propos de Christophe Godin et de Patrick Rondat, célèbres représentants de la six cordes électriques pour une interview croisée. Albums, concerts et projets divers, l'occasion d'un échange toujours intéressant et le partage d'une vision réaliste de la guitare et de la musique dans le paysage actuel.

Christophe Godin et Patrick Rondat lors du Paris Guitar Festival 2025

Nono : Merci à vous deux d'avoir accepté cette interview croisée que l'on va envisager sous la forme d'un dialogue. Qu'est-ce qui vous amène au Paris Guitare Festival ?

Patrick Rondat : Ovation m'a invité pour faire une démo. Je joue sur Ovation depuis très longtemps, donc j'ai accepté même si je ne suis pas un dingue des salons. Je rencontre plein de gens que j'aime bien et à chaque fois, je me demande pourquoi j'ai traîné la patte pour venir, surtout quand il y a un certain Godin (rires). On m'attendait peut-être moins sur acoustique que sur électrique, mais c'est justement ce qui m'a intéressé.

Christophe Godin : Pour moi, tu peux mettre la même chose que Patrick sauf que tu remplaces Ovation par Laney. On m'a aussi proposé une démo pour Cole Clark. Étant absent des salons de musique depuis 9 ans, je n'étais pas non plus forcément chaud pour venir, mais c'est comme le dit Patrick l'occasion de revoir des trombines agréables.

Patrick : Ce n'est pas un public « normal » et c'est toujours un peu bizarre. Je déteste avoir l'impression de devoir prouver quelque chose et dans ce genre de cadre, c'est toujours malgré tout ce qu'on attend de toi.

Nono : Vous avez en outre la réputation d'être fidèles avec les marques qui vous soutiennent depuis longtemps.

Christophe : Vigier, Laney et Zoom depuis 28 ans oui ! C'est une des raisons pour lesquelles tu arrives à avancer quelque part avec une marque, celle de la fidélité. J'aime ce genre de collaboration, qui dure.

Patrick : ma première Ovation, je l'ai achetée en 1982. J'avais tenté sur d'autres marques, mais retour direct chez Ovation dès qu'ils sont revenus. Pareil avec ESP, on me connaît pour mon passage chez eux, mais avant ESP, j'ai joué sur Ibanez. De 1983 à 1988, je jouais sur Ibanez. Je n'ai fait que 10 ans chez ESP et je suis retourné sur Ibanez depuis 1999. Mon premier album était fait sur une Ibanez. Il faut jouer sur une marque que tu as envie d'utiliser, c'est complètement "con" de faire autrement. Inutile de viser l'endorsement en premier lieu, ce n'est pas une finalité surtout à notre époque, les deals ne sont plus les mêmes. On parle souvent des amplis boutiques qui sont super, mais opter pour du matériel de série permet d'éviter les mauvaises surprises. Quand tu dois louer un ampli sur place en concert quand tu tournes, tu retrouves immédiatement ton son.

Christophe : on utilise le même matériel que n'importe qui peut acheter. Il y a du super taf dans les amplis boutiques, mais en général, ils restent à la maison.

Nono : En dehors du matos, on ne peut pas zapper votre actualité personnelle. Toi Christophe, on a vu que tu avais notamment réactivé Morglbl pour quelques dates, n'est-ce pas ?

Christophe : Oui, réactivé ou plutôt « sorti du formol » ! Ça reste très ponctuel pour quelques concerts, mais ma seule véritable actualité, c'est mon premier album solo pour lequel j'ai pris 57 ans, presque autant que Patrick pour sortir son prochain disque (rires). J'ai joué en groupe pendant des années et je ne me sentais pas non plus très crédible d'autant que je chante sur ces compos à venir. L'idée vient d'une phase d'ennui, j'ai fait 4 morceaux à la maison et je me suis pris au jeu. Patrick fait partie des rares personnes ayant accepté de me faire un feedback sur mes compos, d'avoir le retour de gens comme lui, ça compte énormément. Il m'a aussi envoyé les siennes, j'ai rarement entendu Patrick pousser aussi loin le côté arrangement. Les gens qui le suivent vont retrouver son empreinte musicale, mais à un niveau encore plus poussé. Pour revenir sur mes titres, c'est chanté. Ce n'est pas du tout un album de guitar hero, les soli sont juste là pour satisfaire l'ego du guitariste, mais l'idée, c'était d'écrire des chansons aux textes personnels et surtout de me faire plaisir. Très daté 80's, j'ai essayé de faire des chansons que j'aurais aimé écouter à l'époque, mais avec une prod plus moderne.

Rondat et Godin avec NeoGeoFanatic

Nono : The Prize n'est plus ?

Christophe : Non, j'ai arrêté The Prize. Aucun rapport avec les relations humaines, juste une envie de faire les choses à mon rythme, sous mon nom et sans compte à rendre. Un luxe et un soulagement que je me permets de prendre, j'aurais même dû le faire avant même si je ne regrette pas d'avoir joué en groupe. C'est ce qui m'a construit et ça m'a servi pour faire des compos « qui sonnent groupe ». Cet album sortira en 3 fois : 3 chapitres de 4 morceaux et le 1er sort le 30 mars. Un 2ème batch de 4 morceaux vers juin et le dernier pour la rentrée pour ensuite défendre tout cela sur scène à partir d'octobre/novembre. Je ne préfère pas sortir les morceaux d'un coup sous forme d'album classique, j'ai envie de sentir s'il y a un engouement autour de ce projet et voir où ça me mène.

Patrick : Alors que pour moi, j'ai opté pour Verycords. Cela met un cadre à un album sur lequel j'ai pas mal réfléchi, même parfois laissé de côté plusieurs années sans même y penser. Là, au moins, c'est dans les tuyaux et c'est presque hors de ma portée, hors de ma maîtrise. Je pense même que si je n'avais pas signé chez eux, le disque ne serait jamais sorti. Je n'ai pas cette culture de tout faire moi-même, ni la com, ni le mix, ni la prod. Grâce à eux, ça va sortir. Le son est bon, le mix aussi, la prod aussi. Je commence à tourner fin 2025 normalement avec ces titres et aussi quelques anciens inévitables, les gens qui viennent en concert veulent toujours entendre ce qui a constitué pour eux une certaine empreinte dans leur esprit. Une bonne demi-heure sera consacrée aux nouveaux titres et avec les standards que je ne peux pas balayer, ça fera un show complet. Signer avec Verycords s'est présenté comme ça, sans calcul de ma part. Il y aura CD et vinyles, ils m'ont proposé et j'ai dit oui en me disant « au moins il sortira enfin ! ».

Nono : Tu as pas mal bossé les préprods avec Pascal Vigné il me semble ?

Patrick : oui, mais pas autant qu'on pourrait le penser. De longues périodes sont passées sans même que je n'ouvre le moindre fichier. Je me suis demandé si c'est légitime, si c'est vraiment de la qualité. Christophe lui peut s'enfermer un mois et sortir avec un disque terminé, j'en suis incapable.

Christophe : J'ai besoin de m'en débarrasser quelque part. On a tous des rythmes différents par rapport au processus de composition.

Patrick : j'écris tout : basse, guitare, claviers et c'est super long. J'ai besoin de me poser pour faire ça.

Christophe : j'ai beaucoup apprécié les dynamiques dans tes nouveaux titres. Les ambiances et les cassures rythmiques donnent un résultat très cinématographique.

Nono : Vous sortez donc de la nouvelle musique dans un contexte dans lequel on entend un peu partout que la guitare, c'est mort, que le rock n'existe plus, que tout va s'arrêter, quel regard portez-vous sur ça ?

Patrick : Je suis en fin de carrière, je m'en fous un peu (rires). J'arrive à un âge où je n'aurais jamais pensé jouer aussi longtemps et j'ai entendu ça depuis des décennies. J'ai vu la fin du vinyle, la fin du néo metal, les débuts du metalcore, enfin bref tout est un peu cyclique. On est aussi face à des médias qui mettent plus en avant le savoir-faire que la musique en elle-même. Quand tu regardes sur Internet la quantité de mecs qui jouent bien, c'est cool, mais il faut que tout ça se transforme en musique quand même, et en musique live surtout. L'air de rien, je pense que ça façonne la façon de bosser l'instrument et la façon de créer des musiciens. C'est compliqué pour quelqu'un qui commence la gratte de voir tout ça, il se demande « mais il va falloir que je fasse quoi pour faire mon trou là-dedans ? ». Je ne pense pas que tu puisses faire une carrière juste parce que tu joues bien de la guitare. Tous ceux qui ont fait une carrière avaient une empreinte sonore, il faut continuer à défendre ça. Moi, j'ai de la chance, je tourne avec Guitar Night Project et on a pas mal de dates, mais ce n'est pas évident pour des plus jeunes de commencer dans ce contexte surtout avec l'avènement des tribute bands. Il y a quand même un souci quelque part, les salles se remplissent plus pour des groupes de covers que pour des groupes de compos réelles, c'est quand même un souci ça. C'est aussi quelque chose qui vient du public, on leur propose ce qu'ils veulent entendre.

Christophe : J'ai une anecdote toute bête. J'habite à Annecy et je suis contacté un jour par un festival qui veut monter un projet avec plusieurs groupes sur Annecy. Ils me disent que je suis le guitariste de la région, que je suis quand même connu et qu'ils aimeraient beaucoup me faire venir. Et là, cette question « est-ce que vous faites partie d'un groupe de covers de quelque chose ? ». La question m'a hyper choqué, car on m'a contacté non pas pour me proposer de venir faire ce que je fais en tant qu'artiste-compositeur, mais pour savoir si je joue de la cover en gros. Ils voulaient utiliser mon image, mais ne s'intéressaient pas à la musique que je joue.

Patrick : que des gars gagnent des sous avec les covers je n'ai aucun souci avec ça. Quand tu vas boire une bière dans un bar et qu'il y a un groupe de covers qui jouent, c'est normal, mais que ça remplisse des Zenith et que des milliers de gens se déplacent pour ça, j'ai beaucoup plus de mal à comprendre.

CHristopge Godin et Patrick Rondat au Paris Guitar Festival 2025

Nono : Et votre regard actuel sur la notoriété, Internet et la course aux vues ?

Patrick : peut-être que Christophe et moi, on se trompe, on envoie peut-être nos élèves dans le mur quand on leur dit que ce qui compte, c'est l'identité, de trouver son propre son. Maintenant, si on devait commencer la gratte, on serait sûrement en train de faire des vidéos, de chercher à faire des vues, c'est quelque chose qui ne correspond pas à la façon que l'on a eu de commencer la guitare et la musique, mais est-ce que c'est pour autant une mauvaise chose ? On penserait peut-être que d'avoir des vues, c'est le succès ?

Christophe : C'est un débat sans fin. Un matin, je vais sur Instagram et je scrolle au hasard, je ne voyais que des guitaristes qui jouent vite, de façon homogène, sans qu'aucun n'exprime une vraie identité ou même un vrai son.

Patrick : je vais même te dire, je ne mets même pas le son ! Je regarde juste la gestuelle et je n'ai pas besoin d'entendre alors que Van Halen ou Gilmour ont même une identité visuelle, une gestuelle bien à eux. Le même type de matos, les mêmes covers, les mêmes mouvements, tout cela donne juste des gens ne cherchent pas à « timbrer » leur instrument. Dans les musiciens actuels, il n'y en a pas tant que ça. De toute façon chercher à aller à une vitesse hallucinante comme ça semble être le cas un peu partout sur le net, fait le sacrifice du timbre.

Nono : vous ne pensez pas que le progrès du matos guitaristique facilite trop la vie ? Avant pour avoir un résultat audible, il fallait envoyer clairement physiquement derrière son Marshall à lampes réglé à fond alors que maintenant, il suffit de caresser les cordes pour avoir un son digne d'un album.

Patrick : Je pense surtout que c'est le format et le média qui font ça. Le matos ne change pas le fait que si tu restes jouer dans ta chambre, tu n'es pas confronté à un groupe, à un batteur qui tape fort, à un ampli qui part en larsen et dont tu dois gérer les parasites avec ton potard de volume. La pression sonore t'oblige mécaniquement à envoyer, tu es confronté à des réalités. Les musiciens que j'aime timbrent leur instrument, je le répète, il y a une recherche acoustique de base qui n'est pas liée au matos ni à la quantité de gain, ni au fait de se planquer derrière un delay énorme. Après moi, je suis très certainement un vieux con...

Christophe (le coupe) : Ha, tu le reconnais enfin ! (rires) Il aura fallu attendre 30 minutes d'interview pour ça !

Patrick : On est peut-être à un tournant durant lequel les titres rock constituent un nouveau répertoire classique, avec des gens qui jouent des titres de Dream Theater comme des violonistes joueraient Paganini. Je me suis déjà posé la question plusieurs fois, est-ce que le rock ne serait pas en train de se "classiciser" ?

Christophe : Pour avoir un côté positif à tout ça, comme j'enseigne, je peux aussi voir que j'ai pas mal d'élèves qui depuis 2 ou 3 ans, ont envie d'avoir la culture qu'ont leurs parents avec un retour des 80's assez prononcé avec la volonté d'aller chercher le son, l'attitude et l'intention.

Patrick : Oui ! J'ai parfois l'exemple au MAI avec des mecs qui se pointent en baskets montantes, Kramer tête reverse et tout le toutim. Les gens au final font ce qu'ils veulent et s'ils sont heureux, c'est parfait.

Christophe : On a aussi la chance d'avoir un public qui nous suit depuis longtemps et qui ne semble pas vouloir encore nous lâcher et c'est agréable de ressentir ça.

Patrick : Quelque part, c'est aussi la faute de notre génération, avec plein de shredders qui ont fait des albums juste pour montrer qu'on peut jouer très bien de la gratte, mais avec un propos musical limité. Ils ont d'ailleurs fini par disparaître pour la plupart d'entre eux. Très tôt, j'ai essayé d'aller vers mon propre truc musical, des compos longues dans lesquelles je construis une ambiance. Une musique pas liée à ma façon de jouer en fait. Le format « vidéo courte » style TikTok n'aide pas à aller au fond des choses non plus...

Christophe : Tu ne peux pas proposer de vrais morceaux avec ce format-là...

Patrick : haha avec mes morceaux, deux minutes, c'est à peine l'intro ! (rires)

Nono : avec mes élèves, j'ai l'habitude de proposer mes propres exercices. Parfois, ils prennent la forme d'un vrai morceau, une pièce réaliste de 5 minutes et de temps en temps, on me rétorque « houlà, c'est long ! ».

Christophe : Hé oui, les gens s'habituent à l'immédiateté. En 1 minute, tu ne peux rien dire, rien poser, mais mine de rien les gens s'habituent à ce genre de durée un peu incompatible avec la musique. À notre époque, on posait un vinyle sur la platine, on regardait la pochette pendant toute la durée de l'écoute, on s'immergeait dans une proposition globale, une expérience totale d'un album à écouter, à voir, à pénétrer.

Patrick : mais il y a encore des défricheurs, des guitaristes avec une vraie identité comme Matteo Mancuso, quelqu'un qu'il faut suivre, c'est évident. J'attends des albums de sa part et une vraie proposition musicale au-delà des vidéos pour des démos de vitesse, mais c'est clair qu'il a un truc, qu'il apporte quelque chose de nouveau. Je suis même persuadé qu'il va générer des dizaines de clones qui vont se laisser pousser les ongles de la main droite et qui iront peut-être même plus vite que lui à rejouer ses soli. Mais on peut encore trouver des OVNI comme lui. Le djent par exemple ce n'est pas ma tasse de thé, pas mon univers musical, mais il faut bien avouer qu'ils ont amené quelque chose de nouveau et c'est le premier style musical qui s'affranchit complètement du blues. Tout le monde a hurlé quand Tim Henson de Polyphia a déclaré que les bends, c'était pour les boomers, mais c'est vrai qu'il n'y a pas de blues dans leur musique.

Nono : Je vous propose que l'on se quitte maintenant, merci beaucoup d'avoir voulu bien répondre à mes questions ! Je terminerai par une toute dernière : qu'écoutez-vous en ce moment ?

Christophe : Eh bien, j'ai une grosse période de retour aux années 70 et je me suis refait la totale des albums de Van Halen pour m'apercevoir que c'est vraiment l'ADN de mon jeu de guitare.

Patrick : ces temps-ci, pas grand chose parce que j'ai passé beaucoup de temps à écouter mes mix, mais c'est vrai que Van Halen reste ce que j'écoute énormément. Je pense qu'il n'y a pas un jour sans que je pense à Van Halen, pas un bout de concert sans que quelque part, je lui fasse un petit clin d'œil. C'était le son de guitare PARFAIT, le jeu parfait. On n'en a pas parlé, mais il n'écrivait qu'une partie de son couloir guitaristique, tellement de séquence même sur album sont totalement improvisées. Dans mes concerts, je me laisse des zones de liberté en dehors des lignes mélodiques qui constituent le cœur du morceau. Je me dis « je verrai bien ce que je vais jouer là ». C'est quelque chose qui semble se perdre, on dirait que tous les jeunes actuellement récitent des soli déjà écrits, sans aucune spontanéité. La part d'impro dans le rock a pas mal changé, et c'est un problème. Les soli de mon album à venir sont improvisés, je jamme et je garde ce que je trouve bien et basta. C'est sans filet, avec des risques de mettre des trucs à côté et parfois, tu es touché par la grâce et quelque chose de miraculeux arrive, c'est le jeu.

Nono : Christophe, Patrick, merci à vous !

 

Propos recueillis le samedi 8 mars 2025

Interview croisée de Patrick Rondat et Christophe Godin