Guitariste : Tu as brillamment arrangé des morceaux connus (Cabrel, Aznavour) en picking. Lors du festival international de Vendôme, fin avril 2003, il s'agissait surtout de compositions plus personnelles…
Patrice Jania : Ce sont des pièces que j'ai écrites récemment, pour la plupart. J'écoute un peu toutes les musiques, mais ma plus grosse influence est celle du picking avec Marcel Dadi, Chet Atkins. J'ai joué un peu de guitare classique, brésilienne, de la musique tzigane, du bal aussi à une époque. J'ai vraiment écouté plein de trucs, mais le picking reste mon domaine. Parmi mes compositions, Fingerstyle Avenue est un morceau de picking pur et dur d'environ deux minutes, c'est un hommage à peine déguisé à Chet Atkins et Marcel Dadi. Dans mon écriture, je distingue deux familles de morceaux. Certains sont plutôt ludiques, comme "Fingerstyle Avenue" ou "Blues for Matthieu". D'autres correspondent à des moments un peu plus forts de ma vie, comme "Le serment d'Hypocras".
Guitariste : Joli titre ! D'ou vient-il ?
Patrice Jania : J'ai écrit ce morceau pour le mariage d'un ami, dans un château en cours de restauration. Au banquet, il y avait de l'Hypocras. C'est un vin épicé datant du Moyen-âge, avec des écorces d'oranges, et qui demande une préparation savante. Lorsque le couple a prêté serment, on prenait l'apéritif dans la salle…le titre est resté.
Guitariste : Et d'où vient le nom Athogis Tops ? Ca sonne épique…
Patrice Jania : J'habite un très joli village en Ardèche qui s'appelle Thueyts, dont les habitants s'appellent les Athogiens. Je cherchais un titre. En écrivant ce morceau, je pensais plus à un esprit de fête, j'étais dans mon jardin, tout était en face de moi.
Guitariste : Tu as d'autres anecdotes sur tes morceaux ?
Patrice Jania : Euh, plein. "Carte postale" est tiré de mon premier bouquin d'arrangements sur Francis Cabrel, qui s'appelle "Voyage en guitare". Un jour, mon luthier Franck Cheval m'a indiqué que Francis Cabrel passait pour un concert près de chez moi, à Romans. Comme il fabrique aussi les guitares de Cabrel, il m'a proposé de venir jouer devant lui quelques arrangements de ses chansons, entre amis après le dîner. Au lieu d'une soirée intime, je me suis retrouvé seul avec le guitare, un ampli de 200 Watts, face à un public de 70 personnes…J'ai interprété le morceau, et tout s'est bien passé. Cabrel a bien aimé, ce qui l'a notamment amené à dédicacé mon livre de partition.
Guitariste : Tu composes aussi pour tes élèves…
Patrice Jania : J'ai plusieurs élèves de guitare, et certains morceaux ont été écrits à l'origine pour eux, pour leur faire travailler un aspect précis. Par exemple, dans Blues for Matthieu, la première partie a été écrite pour un élève qui travaillait les accords de Mi, La Sol. Il a plu aux élèves, j'ai rajouté quelques parties derrière. Pareil pour le titre "Avec un morceau de bois". C'était pour faire travailler l'aller-retour à une élève. Elle avait un médiator Dugain en noix de coco, d'où le nom. Le début est abordable pour un débutant, ensuite j'ai développé…
Guitariste : Quel chemin suis-tu pour composer ?
Patrice Jania : Quand j'écris un morceau, je ne l'écris pas pour moi. J'aime penser à la réaction des gens. A une époque, j'écrivais des morceaux un peu plus obscurs aux yeux du public, avec une inspiration jazz, des progressions harmoniques et des mélodies un peu alambiquées… Finalement, je suis revenu à des choses plus légères, plus faciles à écouter parce que j'avais envie de donner davantage de plaisir. On peut faire le même parallèle entre les chansons à texte et les chansons à danser, plus populaires.
Guitariste : Cela dit, la technique a gardé une place importante ?
Patrice Jania : Oui, mais elle doit se faire oublier et laisser la place à la musique. Pour moi, la simplicité n'a rien de péjoratif. Même si certains musiciens n'apprécient pas. Un soir, lors d'un concert, j'ai interprété un standard du musette très technique, "Perle de cristal". J'en ai bavé et j'étais claqué à la fin du titre, avec les doigts morts (rires). Sans vraiment m'en rendre compte, j'ai enchaîné sur Confidentiel, de Jean-Jacques Goldman, où tout ou presque se passe sur les trois premières cases du manche de la guitare. Un musicien est venu me voir à la fin du spectable en me disant qu'il était scandalisé, qu'un artiste n'avait pas le droit de jouer des pièces aussi simples. Je ne crois pas qu'il faille dévaloriser un morceau parce qu'il est "faible" sur le plan technique. Le fait qu'il soit fort sur le plan émotionnel reste le plus important. D'ailleurs, le public a autant applaudi les deux morceaux.
Guitariste : Comment as-tu développé ton style ?
Patrice Jania : Je suis autodidacte, même si j'ai fait une formation professionnelle à l'école Jazz Action de Valence. A l'âge de 14 ans, j'écoutais Marcel Dadi, Yves Duteil, Renaud. Je travaillais les tablatures, tout en essayant de retrouver les accords de l'orchestre. Lorsqu'il s'accompagne, Yves Duteil utilise des arpèges, des contrechants qui me fascinaient à l'époque. J'ai fait un bouquin sur ses morceaux récemment. C'est un artiste chaleureux.
Guitariste : Tu privilégies les morceaux "grand public" ?
Patrice Jania : J'aimerais que davantage de gens qui n'écoutent pas de guitare viennent assister aux concerts. A trop cloisonner les styles, on perd le public. Je trouve que cet instrument s'est un peu enfermé. Je m'implique dans le travail d'une association en Ardèche, Le Centre de la guitare. On s'y efforce de mélanger les styles lors de spectacles publics gratuits. Nous faisons en sorte que les gens "osent" venir écouter de la guitare sans vraiment la connaître. Les morceaux connus aident à cela.
Guitariste : La guitare est quand même un instrument très populaire, non ?
Patrice Jania : Oui, mais pas pour toutes les formes de jeu. Pour beaucoup de personnes non musiciennes, la guitare ressemble souvent à des "glingling" derrière un chanteur, à du bruit ou des choses compliquées dans le cas du jazz ou du rock. J'aimerais faire sortir la guitare de cette vision là. Récemment, on a fait venir un trio celtique (harpe et deux guitares), un guitariste jazz (Duck Baker), malgache (Solorazaf), Michael Jones, un guitariste classique (James Kline). Le public apprécie. Mais il ne se déplace pas si facilement.
Guitariste : D'où l'idée de mettre à l'affiche des artistes connus ou des titres de morceaux évocateurs ?
Patrice Jania : Oui, c'est ce qu'on s'efforce de faire. Parce que le grand public, lorsqu'il se déplace à un concert de guitare, veut retrouver un artiste ou des morceaux qu'il a déjà entendu. On prend cela en compte, mais on peut quand même le surprendre. Et ça marche !