Mauro Serri

Publié le 22/06/2004 par Aragorn
Compositeur et prof de guitare, Mauro Serri est un guitariste blues à la patte fine, et de grande expérience puisqu'il a été le complice de nombreux artistes (J-J. Milteau, Eddy Mitchell, Bernard Lavilliers). Il nous raconte l'enregistrement du dernier album de Bill Deraime (Quelque part) et fait part de sa vision du milieu musical, de l'intermittence à la façon d'enseigner l'instrument.

Guitariste : Un nouvel album écrit avec le chanteur Bill Deraime (Quelque part) est sorti en avril dernier. Comment s'est déroulée la création des morceaux ?

Mauro Serri : Cela commence toujours par des entrevues dans un studio de répétition, où Bill nous joue ses chansons "en chantier". Chaque musicien essaie alors de se placer avec son instrument. On affine ensuite en visant à l’efficacité, et en évitant la surcharge. Vient ensuite une phase d’enregistrement en studio pour avoir une idée globale des arrangements et de la "tournerie". Pour "Quelque part", le processus a commencé il y a environ un an et demi. Bill a trouvé des gens qui ont mis leur home studio à sa disposition, et qui ont retravaillé les chansons en partant de nos arrangements, en faisant des bidouilles avec des références aux musiques actuelles. Apparemment, ces gens-là ont cru qu’ils allaient modeler Bill à leur façon, en nous "squeezant" purement et simplement ! Pour preuve, chaque fois que nous, les musiciens, avons eu à mettre des parties dans notre style (l’essence même des arrangements de la musique autour de Bill), ils ont tout fait pour saboter notre travail, en essayant de démontrer qu’on n’assurait pas, carrément !

Guitariste : Difficile d'avancer dans ce genre d'ambiance...

Mauro Serri : Il y a donc eu clash, et après pratiquement un an, nous sommes partis dans une autre direction. Etant donné que Stéphane Pigeat, le batteur et choriste du groupe, possède son propre home studio, nous avons repris toutes les chansons avec nos idées de départ. Elles ont toutes été réenregistrées avec des batteries numériques, mais avec les vrais instruments, les voix etc, puis 5 à 6 chansons ont commencé à être présentées à droite et à gauche pour trouver une production. L’étape finale a été de refaire des batteries acoustiques, des guitares, des claviers, des cordes, les voix et les chœurs définitifs en studio, puis de mixer et éventuellement d’éditer certaines chansons, pour les formater et les faire correspondre à des versions single ou album.

Guitariste : Des dates de concert sont prévues ?

Mauro Serri : Actuellement, il y a deux festivals cet été, Avoine, le 4/07, et Carcassonne le 26/07. Le calendrier est en passe de s’étoffer d’ici la rentrée, où pour l’instant, il est prévu trois jours, voire quatre, au New Morning, à Paris, les 4,5 et 6 novembre.

Guitariste : Tu indiques sur ton site que Bill Deraime a signé chez EPM (Universal). Il y a eu pas mal d'annonces de "dégraissage" dans les catalogues des majors. Comment vois-tu tout ça, en tant que compositeur ?

Mauro Serri : Le dégraissage, en question, ne me concerne que de loin, vu que je ne postule pas à cette échelle. Il devient clair que les maisons de disques veulent du rendement à court terme et ne sont plus prêtes à investir sur des carrières. J’avais déjà fait mon choix, en pensant artisanat, plutôt qu’industriel. Je vends ce que je peux, sans aucune pression. En même temps, j’ai passé tellement de temps en tant que sideman, que l’on sent bien que je ne brigue pas la place de l’idole. Je cherche tardivement à me faire entendre en solo, et je prends mon temps. Beaucoup de mes œuvres sont derrière moi, mais font encore écho, et les droits tombent toujours. En fait, mes titres les plus récents rapportent moins, certainement car ils ne sont pas édités par un éditeur gourmand (75% du gâteau, ça motive).

Guitariste : Parle-nous de ton statut professionnel. Il te semble plus dur pour un musicien de vivre de sa musique aujourd'hui ?

Mauro Serri : Je suis ce que l’on appelle vulgairement et restrictivement un intermittent du spectacle, statut qui m’est tombé dessus, littéralement sans crier gare, il y a presque un quart de siècle. En effet, après une longue tournée avec Eddy Mitchell, on m’a délivré un feuillet rose sur lequel figuraient 55 cachets, en me disant que j’avais droit à des allocations, en m’inscrivant à l’ANPE Spectacle. Ce fut le début d’un système duquel il est impossible de sortir, car à partir de là, ces allocations complémentaires deviennent une composante régulière de tes revenus. J’ai toujours suffisamment travaillé pour me maintenir dans ce statut, mais il est vrai qu’aujourd’hui, de moins en moins d’employeurs sont enclins à déclarer les artistes qu’ils font travailler, ce qui rend la chose plus ardue, surtout pour les nouveaux. J'ai la chance de pouvoir faire autre chose que des petits bars pour vivre, car, d’une part, il faudrait un nombre astronomique de ces performances, ne serait-ce que pour le minimum vital, d’autre part, beaucoup de ces lieux ferment, surtout à cause des nuisances sonores.

Guitariste : En tant que prof de guitare, quel aspect t'intéresse dans l'apprentissage de la musique ?

Mauro Serri : L'enseignement ne met pas assez souvent l’accent sur le rôle de chaque musicien dans un morceau donné, y compris par rapport à un groupe à géométrie variable. Aucun guitariste ne sait d’emblée jouer efficace, en servant le morceau, dès l’instant où il y a déjà un autre guitariste, voire un claviériste !
Peu de bassistes savent jouer en petite formation, par opposition à une grande. Depuis de nombreuses années, je participe à des jam sessions, en tant que groupe résident, ce qui devient un endroit de prédilection pour faire faire leurs premiers pas à mes élèves, aussi bien qu’un terrain d’expérience pour mes idées...

Guitariste : Ton site publie souvent de tes nouvelles et donne un sentiment d'intimité avec ton public. Tu y parles d'une douleur à la main. Ca va mieux ?

Mauro Serri : En vérité, mon problème, s’il a affecté mon jeu pendant quelques mois, n’était pas dû à l’exercice de la guitare, mais à un appui du coude gauche avec la tête pesant dessus, en écrivant à l’ordinateur (!). Je vais fêter mes 40 ans de guitare cet été, et je n’ai jamais eu de séquelle découlant de mon métier, en revanche, pour avoir été obligé de chercher la force pour certains bends, d’une manière différente (le nerf cubital compressé faisait que j’avais un manque de force et une absence de sensibilité avec l’annulaire et l’auriculaire), j’ai eu de temps à autre des douleurs et des sensations de main surchauffée qui venaient certainement de l’utilisation intensive et nouvelle des muscles et des tendons. Mais comme à toute chose malheur est bon, cela m’a obligé à contourner certains effets de toucher, donc à faire autre chose, et j’ai développé d’autres déplacements et démanchés, dont il m'en reste quelque chose aujourd’hui. J’ai même fait des progrès en vibré tenu, que j’arrive à réaliser plus doux, moins nerveux et rapide, avec beaucoup plus d’amplitude qu’avant. Mais je ne sais pas si je retrouverai la force d’avant, car tout en pouvant réaliser la majorité des bends désirés, celui d’une tierce (spécialité d’Albert King), reste très éprouvant. Je n'ai pas de conseils aux jeunes guitaristes pour éviter les tendinites, si ce n’est de ne pas pratiquer 16 heures par jour !

Guitariste : Peux-tu dire quelques mots sur tes guitares ?

Mauro Serri : J'ai fait récemment l'acquisition d'une guitare Jay Turser. Elle vient du Canada, mais n’est pas de fabrication canadienne, plutôt asiatique je crois. Elle a un résonateur et est en révision pour cause de sillet cassé, et de craquement suspect en position capteur, car elle est dotée d’un micro côté manche et d’un capteur sous le "biscuit" le support du chevalet, rond comme un biscuit). Je pense d’ailleurs faire changer le capteur par un autre plus puissant, car le volume en position micro est vraiment plus conséquent ! Parmi mes dernières acquisitions, j’ai hâte d’avoir fait poser un capteur efficace sur une original Dobro métal des 70’, qui prendra la place de l’imitation Hofner que j’utilisais jusque-là, bien qu’elle ne soit pas métallique. J’ai déjà adopté une Gibson 335 cherry des 80’, qui est de tous mes concerts depuis près d’un an, et qui est visible dans les galeries photo du site.

Guitariste : Ton set de pédales et d'amplis est aussi décrit sur le site...

Mauro Serri : La seule différence avec ce qui est décrit, aujourd’hui, c’est que j’emmène un autre ampli que le Fender super 60 customisé pour la Gibson 335, qui a besoin de moins de gain et de plus d’aigus que la stratocaster, quand le concert est d’envergure suffisante. Quoique, si le lieu qui me reçoit peut en mettre un à disposition, c’est plus pratique ! Dans ce cas-là, je baisse aussi la saturation sur la Sansamp qui me sert de boost. J’adore le son de l’Univibe modélisé sur mon MM4 Line 6, avec un delay à la croche ou en triolet de croches, avec de temps en temps la wah wah. On se croirait à Woodstock, avec toutefois, un son de meilleure qualité !

Guitariste : Pas de projet d'album solo en cours ?

Mauro Serri : J'ai des blues songs originales en français, de ma plume, qui ne demandent qu’à être enregistrées en vue d’un prochain CD. Pour l’instant, j’ai des petits problèmes de planning, entre les divers musiciens que je compte utiliser, et mes activités courantes...C’est toujours une question de concordance des temps. Je n’ai pour l’instant pas de label pour distribuer, mais je verrai en temps utile...Tout ça reste très artisanal ! Je travaille aussi à l’élaboration d’un futur album, aussi bien en tant que musicien, que co-arrangeur et même compositeur, parfois, avec un ami de longue date retrouvé ces dernières années, Gilles Otto, qui est auteur compositeur interprète et ne manque pas de verve dans ses textes.

Guitariste : Et concernant la pédagogie ?

Mauro Serri : J'ai en projet une petite méthode de guitare Blues en DVD, destinée aux débutants. Au mois de juillet, je serai à Patrimonio (Corse) pour un stage de Blues en partenariat avec le Festival de guitare, auquel participeront des gens comme Vai, Satriani, Fripp, aussi bien que Larry Carlton (une de mes vieilles idoles...) ou Lucky Peterson. Toutes mes dates de concerts et master-class sont annoncées au fur et à mesure, sur www.mauroserri.com.

Pour en savoir plus

Le site de Mauro Serri :
http://www.mauroserri.com

 

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