La persévérance et le talent amènent souvent de bons résultats. Lazuli ne dira pas le contraire : après de nombreuses années passées à peaufiner son, le groupe français vise le pallier supérieur en 2015. Dominique Leonetti, plutôt bavard, nous donne ses impressions en toute franchise sur la carrière de ce groupe progressif à la trajectoire atypique.
La dernière fois que nous nous sommes parlés le groupe n'était pas tout à fait là où il en est aujourd'hui. Comment résumerais-tu ces presque cinq années écoulées ?
Dominique Leonetti : La dernière question de notre discussion de 2010 portait sur les projets musicaux à faire aboutir dans les cinq ans. J'avais parlé d'une paire d'albums, d’un DVD et de concerts... Je crois qu'on y est ! Deux albums en 2011 et 2014, un DVD en 2013 et des concerts un peu partout en Europe. Que du bonheur donc ! Nous avons partagé notre musique plus que nous ne l'avions déjà fait. Nous avons terminé 2014 sous le ciel anglais, avec une série de cinq dates. C'est symboliquement très fort, pour nous, groupe français et francophone, d'avoir trouvé notre public au pays des Beatles. En résumé, de belles choses réalisées pendant ces cinq années mais il y a tellement de choses à vivre encore...
Lazuli a solidifié sa place en tant que groupe autoproduit. Est-ce un choix ou plutôt quelque chose de subi ?
D. L. : Un peu des deux. Nos expériences de signature nous ont systématiquement ramené à l'envie et au besoin de cette autonomie. Nous n'avons sans doute jamais eu la proposition de rêve, mais existe-t-elle ? Je crois qu'un groupe aujourd'hui n'a plus beaucoup d'autres choix. Les maisons de disques ne travaillent plus comme elles le faisaient (hormis pour quelques privilégiés), elles n'investissent et ne s'investissent plus pour des projets hors mode. Je pense qu'aujourd'hui on ne doit plus fantasmer sur les labels. Il faut prendre sa vie en main et surtout ne pas attendre le miracle. Il nous arrive souvent de souffrir de notre exil devant la somme de boulot mais à moins d'une belle rencontre humaine, nous continuerons à construire notre histoire seuls, comme les artisans que nous sommes.
De toute manière plus qu'un label, ne serait-ce par un distributeur qui pourrait vraiment vous aider à percer ?
D. L. : Nous avons vécu l'expérience à deux reprises mais un contrat de licence en distribution ne sert pas vraiment si la promo n'est pas faite. Nous avons opté aujourd'hui pour une multitude de petits contrats sans exclusivité en distribution simple dans plusieurs pays. En gros, nous fournissons des petits distributeurs indépendants. Pas de véritable "promo" donc, seulement le bouche à oreille, les concerts, le net et les réseaux sociaux. Finalement pas moins de moyens que lorsque que nous étions signé en licence, où nous ne récoltions qu'un ou deux euros par disque dont le master ne nous appartenait même plus.
Il est vrai toutefois, qu'un distributeur qui se donnerait les moyens de faire un vrai travail, qui nous offrirait une vraie visibilité, un vrai plan promo, un attaché de presse etc. changerait la donne. Et puis, nous serions détaché d'un travail trop énergivore pour nous et pour lequel nous n'avons pas vraiment d'aptitude. Plus que jamais, nous avons besoin de partenaires (un tourneur en France par exemple) car chaque nouvel album ne voit le jour que si le précédent a vécu. Les lendemains sont toujours incertains et c'est pesant.
Musicalement, Lazuli grandit à chaque disque. « Tant que l'herbe est grasse » est le dernier en date. Comment a-t-il germé ?
D. L. : Je ne sais pas vraiment comment germe tout cela, j'imagine que les choses s'entassent dans ma tête et qu'arrive un moment de trop-plein où je dois évacuer. J'ai toujours eu besoin d'exprimer mes ressentis, petit je dessinais et depuis l'adolescence, dévoiler mes sentiments en chanson s'est avéré être une nécessité, une thérapie. Il faut dire que le monde dans lequel nous vivons est un puis sans fond... à mon grand regret parfois ! J'ai la chance d'avoir Claude et Ged toujours présents pour me suivre dans mes délires et surtout pour y apporter un supplément d'âme.
« Tant que l'herbe est grasse » est né dans l'urgence. Comme poussé par le monde autour qui s'accélère. Cela a donné un disque peut-être un peu plus « brut », plus explicite que les précédents. Il reste tout de même dans la lignée de « 4603 battements ». J'ai travaillé en solitaire pendant l'été 2013, puis dès septembre, Ged, Claude et moi avons bossé sur les premières mises en forme. Nous avons finalisé les arrangements tous ensemble avec Vincent et Romain. Depuis 2010, l'accouchement des morceaux est plus spontané, moins douloureux; une ambiance bienveillante au sein d'un groupe est peut-être la première condition pour que germe un album.
A présent, l'identité sonore du groupe est bien ancrée, entre rock, prog’, électro et world music. Peut-elle encore s'étendre ?
D. L. : Difficile à dire. Nous ne réfléchissons pas vraiment à une identité sonore. Nous faisons les choses à notre gout, nous essayons de les faire à notre image, d'y mettre ce que nous sommes. Nous avons acquis une couleur bien définie mais sans nous l'être imposée, elle s'est imposée à nous. Nous cherchons toujours de nouvelles sensations, bien sur, et nous n'aimons pas forcément les virages à 90 degrés qui sont souvent synonymes d'exercices de styles, alors j'imagine qu'à présent, notre musique évoluera ou s'étendra de façon nuancée.
Les textes sur « Tant que l'herbe est grasse » forment un tout. Comment se greffent vos idées narratives sur la musique ? Est-ce qu'elles la précède ?
D. L. : Auparavant j'écrivais musique et paroles en même temps, les mots amenant une mélodie, un accord amenant une phrase etc. Mais depuis « 4603 battements » les textes ont toujours précédé la musique. Ce sont donc les paroles qui influencent nos notes. Nous essayons de faire en sorte que la musicalité originelle des mots reste intacte une fois mis en musique, en essayant de porter le message plus loin. J'ai l'impression que la sonorité de la langue française empêche la méthode qui consiste à faire un « yaourt » sur une musique pour ensuite y coller des mots. Du moins, nos tentatives en la matière sont toujours restées infructueuses.
Fish apparaît sur un morceau de « Tant que l'herbe est grasse ». Il me semble que vous avez joué avec lui en 2006 ou 2007. C'est à ce moment que vous avez fait connaissance ?
D. L. : Effectivement, nous avons ouvert les trois dates de sa tournée française de l'époque (Marseille, Toulouse et Paris). Ce fut un grand moment pour nous! Depuis, nous croisons Fish régulièrement sur la route, programmés sur des festivals communs, c'est à chaque fois très chaleureux. Fish a souvent exprimé son estime envers notre musique, ce qui nous a permis d'avoir le culot de l'inviter sur notre album !
Tu es fan de Marillion depuis longtemps. A la fois Fish et Marillion continuent d'évoluer, bravant les tendances tout en étant capables d'élans créatifs surprenants. Durer comme cela en dépit des difficultés d'être en dehors du système ça t'inspire quoi ?
D. L. : Je profite déjà de l'occasion pour dire que le dernier Fish est une pure merveille ! J'ai un profond respect pour le travail de Fish et Marillion ainsi que leur parcours. Je revendique sans hésiter la filiation ! Mon sentiment est ambivalent sur leurs carrières : je trouve navrant que leurs succès respectifs ne soient pas plus retentissants, que les gros médias ne prêtent pas plus d'intérêt à leurs histoires mais je pense aussi que cela les a poussé à cette intégrité et cette créativité. Le problème est que cette situation ne doit pas être rose tous les jours, imaginer qu'ils doivent peiner financièrement est assez désolant, alors que d'autres s'en mettent plein les poches pour avoir écrit des merdes infâmes. Comment se fait-il que lorsque j'annonce fièrement que nous faisons une première partie de Fish ou qu'il est présent sur notre album, ou que nous venons de croiser Marillion sur un festival, la plupart des gens me rétorquent : « Qui ça? j'connais pas! » C'est triste mais en même temps, c'est un bonheur de ne pas s'être fait imposer leur musique par la télé (rires). Comme eux (toutes proportions gardées) nous vivons ce désintérêt des décideurs mais avec le soutien d'un public fidèle. A choisir, je préfère survivre de notre musique mais recevoir un amour sincère. Je suis lucide, nous n'atteindrons jamais la notoriété de Fish ou Marillion mais j'espère juste que l'histoire de Lazuli s'inscrira elle aussi dans la longueur, que nous serons assez fort pour continuer à braver les embuches.
Parlons guitare. Tu as expérimenté avec de nouveaux effets, du nouveau matériel sur « Tant que l'herbe est grasse » ?
D. L. : Non, je traine le même matériel depuis de nombreuses années. J'ai réservé mes finances pour du matériel annexe comme les systèmes HF ear monitor et guitare... A ce sujet, je suis très satisfait de mon système sans fil Line 6, le gros bémol est sa fragilité mais son prix est tellement attractif qu'il est difficile lui reprocher ses finitions plastiques. Je ne te cache pas que j'aurais aimé avoir de nouvelles choses en main mais je me dis aussi qu'il est intéressant de pouvoir exploiter son matériel au maximum. Du coup je peux t'assurer que Ged et moi, sommes de fins connaisseurs du Pod XT Live ! Il faudra que nous ayons une nouvelle discussion dans quelques temps, car Ged a essayé pas mal de nouveaux effets et certains devraient nous servir pour le prochain album...
Tu possèdes quelques amplis ou guitares de « fétichiste » ?
D. L. : Comme j'aimerais ! Je ne possède malheureusement pas de guitares de collection mais je n'en suis pas moins amoureux. D'ailleurs, je pense avoir filé le virus à mon fils qui se dirige vers des études de lutherie. Son premier mot (même avant « papa, maman ») fut « guitare », c'est pour dire ! Alors j'espère bien pouvoir m'assoir un jour dans mon salon avec lui et admirer une belle vielle Fender, Gibson ou Gretsh ... Je possède tout de même une tête Marshall JCM 800 modèle 1959 et quelques guitares mais qui n'ont de valeur qu'à mes yeux.
Quels sont les guitaristes actuels qui te font vibrer ?
D. L. : Je reste pas mal bloqué sur des guitaristes comme David Gilmour ou David Rhodes. Plus "actuels", les premiers qui me viennent à l'esprit: Alain Johannes, Newton Faulkner et pour faire plus récent, même si je ne connais pas bien, j'aime bien le travail minimaliste et bien senti du jeune Dan Rothman au sein de London Grammar. Mais c'est une question qu'il faudra poser à Ged lors d'un prochain interview, qui lui écoute beaucoup de guitaristes et lit de nombreuses revues. Je m'attache pour ma part, moins aux individualités et suis plus attiré par les cohésions de groupe ou les compos.
Décris-moi une de tes journées habituelles de pratique de guitare ? Et comment te prépares-tu pour un concert ?
D. L. : Contrairement à Ged qui travaille la guitare plusieurs heures par jours, qui l'enseigne aussi, j'ai plus une approche de chanteur face à l'instrument. Je n'ai jamais réussi à travailler ma technique car à chaque fois que j'ai un instrument en main, des idées de compos me viennent et me détournent du droit chemin ! J'ai donc une mauvaise technique, aucune dextérité, mais un sens assez développé de la rythmique et de l'accompagnement et surtout, deux merveilleux solistes à mes cotés (Claude à la Léode et Ged à la guitare). De ce fait, je n'ai pas un réel besoin de me chauffer pour un concert. Ce qui est primordial pour moi, c'est d'arriver à me décontracter au niveau des épaules, le trac tend le haut du corps et ce n'est pas l'idéal pour chanter et avoir le balancement idéal pour les rythmiques.
Pour finir, comment vois-tu 2015 pour Lazuli ?
D. L. : Déjà quelques milliers de kilomètres s'annoncent avec des concerts prévus en Allemagne, Hollande, France, puis sans doute une nouvelle tournée en Angleterre, mais nous espérons que beaucoup d'autres dates viendront se raccrocher à celles-ci. Un nouvel album devrait voir le jour en 2015, j'ai pas mal écrit ses derniers temps et il reste à voir maintenant si tout cela pourra prendre forme cette année...
Lazuli – Tant que l’herbe est grasse
L’Abeille Rôde
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