Kesiena : Oui, le fait de sentir appartenir à plein d’endroits différents, mais aussi d’avoir des sentiments changeants qui s’adaptent selon les lieux, les gens que je rencontre. Pour moi, la musique doit évoquer ces échanges aussi. Au départ, j’avais comme un démon. Il fallait que ça sorte parce que dans mon enfance, enfermé dans un monde de «rêves», je me cachais de pas mal de choses. Au fur et à mesure, j’ai commencé à me tourner vers les gens et à vouloir les rendre heureux.
Comme un besoin de partage…
Kesiena : Oui. Comme envie de rendre Gunnar heureux. Quand une composition me vient, qu’on la travaille, j’ai le sentiment qu’on partage, que sa vision compte autant. Il ne discute pas ma vision artistique, mais on discute ensemble et en s’amusant comment il est possible de modeler cela de manière concrète, pour que les gens qui écoutent soient charmés par cette musique et aient envie de participer. Les parties de Gunnar reflètent cette démarche au niveau du son parce que n’importe qui peut les jouer ; comme ma manière de chanter. Je n’ai pas envie de montrer ma prouesse technique, mais plutôt de donner envie aux gens de chanter aussi.
Est-ce l’espérance de donner la vision d’un monde idyllique ?
Kesiena : Du tout ! Gunnar en est le témoin. Plusieurs amis m’ont fait connaître la comédie musicale Hair, et le festival de Woodstock qu’on regardait sans cesse. Ils ont gardé cette image d’un temps qu’ils n’ont pas connu d’ailleurs. Pour moi, ce n’est pas ça. Il y a ce qui s’est manifesté, les causes de cet effet Woodstock, les raisons profondes. Comme après la seconde guerre mondiale, le monde sature d’un certain matérialisme, le besoin de posséder provoque un total oubli de l’âme. Woodstock et les années 60-70 étaient comme une libération à tous points de vue. C’est ce qui m’a fasciné.
Gunnar : La force de ces années-là je pense, était la sincérité dans la musique qui a été
Sincérité, et spontanéité aussi peut-être ?
Kesiena : Oui, instinctive. Quand j’étais en faculté de musicologie, je ne comprenais rien du tout. Gunnar a vu que j’essayais quand même de communiquer avec ce langage très technique, pfff ! Il m’en a éloigné pour rester très instinctif justement. Je sors les choses spontanément, et c’est lui qui se charge de les cadrer pour transmettre aux musiciens. J’ai l’impression de me perdre dans la technique, alors que Gunnar s’amuse avec, c’est naturel pour lui.
Gunnar : Il a une approche poétique de la musique qui me parle beaucoup. Je suis autodidacte, et quand j’ai rencontré Kes à 19 ans, j’ai décidé de creuser un peu, donc j’ai fait des études de musicologie pour mettre des termes sur des choses que j’avais déjà comprises et pour pouvoir les transmettre. Tous les musiciens diront la même chose, il y a un moment où on est obligé de travailler la technique, de l’apprendre, mais le plus grand travail, c’est d’oublier tout ça le plus vite possible pour redevenir un gamin ! Les plus grands morceaux et qui touchent les gens sont les plus simples, parce que, comme il disait tout à l’heure, ils peuvent être captés par tout le monde instantanément. La rencontre avec Kes est arrivée au bon moment, il m’a sauvé d’une dérive technique, d’une trop forte intellectualisation de la musique. La définition du mot Art pour moi, est le bon équilibre entre le cosmos et le chaos, entre l’ordre et le désordre.
Vous vous êtes bien trouvés visiblement !
Kesiena : Et on continue à le faire ! J’ai eu le choix de faire mes propres trucs et d’aller vers d’autres personnes, mais j’avais l’impression que ça ne me mènerait nulle part, que l’essentiel était déjà là. J’avais juste besoin de quelqu’un comme lui, comme d’autres qui m’entourent et qui m’envoient beaucoup de bonnes énergies. Ma manière de parler est très illuminée, et j’ai des facilités à attraper beaucoup de choses, mais cette manière d’être est en fait une angoisse perpétuelle, une réelle souffrance parce que je les ressens profondément. Alors j’ai besoin de protection. Je donne l’impression de quelqu’un qui maîtrise tout, mais ça cache en même temps une réelle fragilité. Donc je fais de la musique, je chante, ça sort comme ça comme une souffrance, c’est l’âme même qui se met à chanter, donc ça demande à ce que les gens me connaissent bien et sachent comment se comporter avec moi, même musicalement. C’est une stimulation.
Comment travaillez-vous l’un avec l’autre justement ?
Gunnar : Notre technique d’écriture a pas mal évolué avec les années. Il y a eu des moments où dès la naissance d’un morceau, on se posait ensemble. Alors c’est vrai que ça pouvait être conflictuel, chacun voyait sa direction pour le morceau. Ensuite Kes, qui fait avec les moyens du bord, des petits synthés tout pourris de supermarché, des guitares 3 cordes (!), m’apporte des morceaux quasiment existants. Il ne reste plus qu’à choisir les bons sons, répartir les rôles dans le groupe. Mon travail avec lui, je le vois un peu comme un travail d’archéologue. Il me montre quelque chose qui dépasse de la terre, je dois le dépoussiérer pour le mettre en scène sans en faire trop, mettre en valeur l’authenticité de l’œuvre qui est en train de naître. J’aime énormément faire ça !
Kesiena : Je ne sais pas comment les morceaux naissent, mais une chose est évidente, c’est qu’à chaque fois que je travaille avec quelqu’un, au fur et à mesure, j’ai le sentiment de ne plus écrire pour moi, mais d’écrire pour lui. J’imagine des scènes de la vie avec cette musique, j’imagine le décor, et là où il doit y avoir des espaces verts, Gunnar pose les espaces verts. Je suis comme un conteur qui chante, je suis là pour narrer l’histoire, et Gunnar l’illustre musicalement. Ça ne m’appartient plus, ça nous appartient. On en discute, c’est le partage. Et quand il arrive à comprendre ma vision, je sais déjà que c’est une ouverture vers les gens et vers leur compréhension pour les inviter à venir aussi. C’est très plaisant.
Parles-nous du matos que tu as utilisé Gunnar.
Gunnar : Il y a d’abord eu la phase pré-prod. La guitare électrique que j’ai depuis le plus longtemps dans ma vie est une Strat Deluxe, modèle spécial créé pour Clapton. C’est une guitare active, mais qui reste assez proche de la Strat qu’on connaît et qui a un grand évantail de sons. Pour les pré-maquettes, on a utilisé un Vox Tonelab, petit pédalier de stimulation d’ampli qui a toujours énervé notre ingé son parce qu’il manquait de chaleur. Mais on l’a gardé pour l’album parce qu’il était à la base de la création, ce côté instinctif dont on parlait tout à l’heure. Pour l’album, toujours cette Strat, bien sûr, mai aussi une DeArmond M-77T pour les sons plus chaleureux, plus typée soul, mais avec de la distorsion. Côté amplis, un Fender Blues Deluxe d’époque et un Fender Bassman, une vieille tête d’ampli des années 70. On a essayé d’avoir un son vraiment chaleureux avec forcément des clins d’œil vers la fameuse époque 70 où il y avait une belle recherche de sons, qui n’est pas à reproduire, mais qu’on peut reprendre comme référence pour repartir, tracer un nouveau chemin. On peut ouvertement s’en inspirer. J’ai également une guitare folk Seagull , une guitare canadienne qui est sur la moitié des chansons, et une Guild pour les chansons guitares-voix. Côté pédale d’effets, il y a un peu de tremolo, c’est un T-Rex , quelques renforts de distorsion Blackstar , Octafuzz.
Suite de l'interview en page 2
Il y a eu un gros travail d’arrangement j’imagine…
Gunnar : Oui, mais qui s’est fait en grande partie au moment de la création finalement. On poussait assez loin les arrangements avant même l’enregistrement, pour préparer les live notamment. On passait entre une journée et une semaine par morceau à la maison pour les petites finitions. Après, j’ai dû passer environ un mois sur la pré-prod. Il y avait du boulot, surtout qu’à l’époque, on ne jouait pas beaucoup avec la formation électrique. Il a donc fallu réinventer le son du groupe électrique en un mois !
Tu voulais parler du Melotron Kes, qui a été en quelque sorte la base de l’album ?
Kesiena : Aurélien Calvel, le bassiste, m’a fait écouter un plug de mélotron. C’était un son… Woooo ! Arrivé à la maison, j’ai téléchargé le plug et l’ai testé. J’étais enthousiaste ! Je l’ai présenté à Gunnar en insistant sur ce truc. Il a testé à son tour et a très vite adoré chaque son, chaque grain, chaque petite chose, on essayait de voir ce qu’on pouvait faire avec pour chaque morceau. Le problème, c’est qu’arrivés aux pré-maquettes, on voulait avoir le vrai. Ça a été une vraie mission…
Adrien : Il en reste deux en France, en état de marche ! On a cherché partout, en Angleterre, en Belgique.
Gunnar : Ils ont une histoire, les bandes ont été enregistrées dans les années 70, alors quelque part, c’est complètement fou de se dire qu’il y a des musiciens qui ont joué sur notre album sans le savoir !
Puisque je te tiens Adrien, tu as droit à ta petite question ! Tu es donc producteur, manager.
Adrien : Producteur, manager, et la société Masq est éditrice.
Comment vous êtes-vous rencontrés et comment se passe votre collaboration ?
Adrien : Je travaillais avec d’autres artistes, on enregistrait pour une radio mexicaine dans un appartement Gare du Nord. Ça parlait espagnol, anglais, on faisait juste un titre et une interview. Kes était là avec Gunnar parce qu’ils connaissaient le guitariste du 1er groupe reggae avec qui j’étais. On s’est à peine parlé, mais j’avais entendu leur titre. Ensuite, j’ai ramené des québécois à Paris et j’avais besoin d’une 1ère partie. Je l’ai appelé, il est venu. Il m’a fait rigoler parce que sa façon d’être… Enfin, je me suis dit OK, à voir. Il m’a demandé des choses, on en a parlé et je lui est dit qu’effectivement, ça m’intéressait. Tout a été très vite. Un mois après ce jour-là, on était à Davout ! Je n’étais pas producteur, ce n’était pas prévu. J’ai fait écouter à des mecs qui m’ont proposé de le faire avec moi sur la société. Dur de refuser ! J’ai dit oui. En plus, de le faire avec eux me donnait l’opportunité d’aller à Davout. Donc en un mois, le temps de régler l’administratif français, on a pu enregistrer. On s’est bien sentis humainement, et dans la manière de travailler, sur ce qu’on pouvait s’apporter l’un à l’autre, parce que je l’aide, mais au final, il m’apporte aussi des choses. Je porte le projet, mais le projet me porte tout autant. Il a accepté que j’en sois le producteur, alors qu’il aurait pu démarcher d’autres personnes. Non, ça s’est fait comme ça.
Pas simple de fédérer une équipe autour d’un projet qui grandit, avec des gens qui viennent s’ajouter, tout en gardant le même esprit, que tout ce petit monde regarde dans le même sens…
Kesiena : On a passé des heures et des heures à discuter avec Gunnar, des nuits entières, il y a eu des mésententes qu’on cherchait à éclaircir quant aux démarches par exemple. Au fur et à mesure, il a ouvert la porte, m’a laissé m’installer. De la même façon, on a invité d’autres personnes à s’installer. Chaque personne qui arrive ne vient pas pour manger la bouffe de l’autre, mais pour apporter un peu de son plat. C’est serein, on se sent tranquilles pour travailler. La récompense, ce sont les morceaux qui naissent.
Merci à eux trois, bien sûr, sans oublier Olivier Chesneau qui m’a, et donc nous, a fait découvrir cet artiste !
L’album It was all written de Kesiena est actuellement disponible en digital sur toutes les plateformes numériques. La sortie officielle dans les bacs est prévue entre le 15 octobre et le 5 novembre 2012. Dates à venir :
- 5/10 : Bus Palladium, Paris - 20 h 30 (6 €)
- 6/10 : Clôture du festival Kiosquorama, quai François Mauriac, Paris 13e, 20 h (gratuit)
Des dates ne cessent de s’ajouter, à surveiller notamment sur les sites :
www.kesiena.com
www.facebook.com/pages/KESIENA/193272830625
www.myspace.com/kesienamusic
Cette rubrique est aussi la vôtre, alors n'hésitez pas à envoyer vos productions pour être interviewé par Maritta Calvez à maritta[a]guitariste.com (remplacez le [a] par @).