L’influence de Judas Priest a été, dans les années 70 et 80, une des plus importantes que le hard-rock et le metal aient connue. Malgré une carrière qui va bientôt fêter ses quarante ans, le groupe se porte encore très bien, conforté en cela par le retour au bercail de leur chanteur historique, Rob Halford, en 2003. Après un solide album de reconquête, Angel Of Retribution (2005), les Anglais se sont attaqués à leur premier disque conceptuel pendant deux ans. Le résultat de leur travail est une petite merveille qui surprendra même le fan de la première heure. Nostradamus sort mi-juin et, en avant-première, Glenn Tipton nous en dévoile la recette de fabrication.
Quand tu commences à bosser sur un disque aussi ambitieux que Nostradamus, je suppose qu’il vaut mieux savoir exactement où on va. Peux-tu me parler du travail de pré-production de cet album ?
Glenn Tipton : Nous avons beaucoup parlé des différentes possibilités. Notre manager nous avait soumis l’idée de parler de Nostradamus et plus particulièrement de sa vie au lieu de ses prédictions. Ce Français est vraiment un homme incroyable, que l’on croit ou non à ses prophéties. Sa vie a été marquée par de nombreuses tragédies – il a notamment perdu sa fille et sa femme lors d’une épidémie de peste et a rencontré pas mal de problèmes avec l’Église – et c’est un homme très important de notre Histoire. Malgré les difficultés de sa vie, il s’est repris pour marquer son temps. Plus nous en apprenions sur lui, plus nous trouvions que sa vie se prêtait merveilleusement bien à un album conceptuel.
L’exemple des quatre cavaliers est assez frappant. De plus, le concept convenait très bien au groupe. Quand K.K., Rob et moi nous réunissons, nous savons tout de suite si nous avons eu une idée qui enchante le groupe entier. Lors des premières réunions, inutile de dire que j’ai vu leurs regards s’illuminer. Nous avons pu utiliser de nombreuses idées qui auraient été hors sujet sur certains autres albums ou projets. Certaines ont été développées comme des chansons traditionnelles alors que d’autres l’ont été en tant que morceaux de transition pour expliquer certains aspects de son histoire. En suivant l’aspect chronologique de sa vie, beaucoup de pièces musicales du puzzle se sont mises en place d’elles-mêmes. Nous avons lancé beaucoup d’idées mais nous n’avons pas hésité à en garder pour ces morceaux de transition et ces plages introductives.
Est-ce que l’écriture s’est faite par phases : d’abord les parties orchestrales, ensuite les morceaux traditionnels, etc ?
G. T. : Oui en quelque sorte. L’organisation de toute cette entreprise était en réalité plus compliquée que la composition à proprement parler. Nous avons beaucoup retravaillé et réarrangé nos idées.
Est-ce que c’est plus gratifiant en fin de compte de faire un concept-album aussi ambitieux qu’un disque plus « normal » ?
G. T. : Absolument. Il nous a fallu environ deux ans pour y arriver et, ayant été personnellement impliqué dans la production, c’est encore plus gratifiant. Je suis très fier de Nostradamus et je pense que ce disque était parfait pour Judas Priest dans le sens où c’était l’album qu’il fallait faire à ce moment de notre carrière.
Au niveau des guitares, K.K. et toi jouez de manière nettement plus variée que d’habitude et ce n’est pas seulement dû à ces passages acoustiques et à ce superbe solo final… Es-tu d’accord avec ça ?
G. T. : Oui mais, plus que les guitares, c’est l’ensemble qui me paraît varié. Tout ce projet nous a donné l’occasion de nous frotter à tout ce que nous voulions. Nous ne serions jamais allés aussi loin sur certaines idées si elles avaient été intégrées dans un autre album. Le solo final est effectivement un moment fort. Il me fait presque penser à de l’opéra. Quant aux passages acoustiques, ils sont nombreux tout comme les parties apaisées qui lient les titres longs entre eux. Il y a un côté symphonique sur l’ensemble de l’album qui nous rend fier. K. K. et moi avons toujours été connus comme un duo de guitaristes, presque comme une équipe, et je trouve que sur Nostradamus notre collaboration prend un nouveau sens. Nous ne sommes plus uniquement focalisés sur la vitesse d’exécution. Bien qu’il y ait beaucoup de passages où l’on lâche les cheveux, on trouve également grand nombre de subtilités et un usage très « doux » de la guitare.
C’est différent d’écrire des arrangements symphoniques et du hard-rock ?
G. T. : Pour être honnête, une grande partie de l’écriture a été faite aux claviers. Il y a tellement de sons sur un synthé qu’il faut du temps pour en faire le tour ?rires?. Je me débrouille avec un clavier entre les mains bien que je sois guitariste à la base. J’ai l’état d’esprit d’un musicien classique. Ma mère était une pianiste classique et depuis l’enfance je nage là-dedans. C’est juste assez difficile d’intégrer ces idées aux chansons plus traditionnelles de Judas Priest sans marquer de transitions trop rudes. Sur ce point, nous avons tous mis la main à la pâte.
J’imagine qu’après un album aussi dense, l’étape suivante est de faire un disque direct, « back to the roots »…
G. T. : C’est un peu tôt pour parler de l’album suivant alors que celui-ci n’a même pas encore été sorti. Néanmoins, ta remarque est pertinente. Nostradamus peut être résumé comme une aventure complexe et nous risquons d’avoir envie de retourner en studio avec un matériel réduit et de jouer de la musique à l’ancienne. Mais nous avons également la possibilité de faire un album totalement différent à nouveau… Judas Priest n’a jamais fait la même chose deux fois et nous sommes un groupe imprévisible. Nous ne savons même pas à quoi nous attendre au sein du groupe ?rires?.
L’industrie du disque va mal, ce n’est un secret pour personne. Vous sortez Nostradamus en trois éditions, toutes à des prix différents. C’est votre manière à vous de lutter contre le piratage ?
G. T. : Oui. D’ailleurs, je viens tout juste d’écouter la version vinyle qui sera notamment disponible avec le packaging de luxe et ça sonne du tonnerre ! Délicat et punchy à la fois ! Je l’ai écouté une dizaine de fois et j’ai été très positivement surpris. Le packaging est fabuleux. Avec un type comme Nostradamus et toute l’histoire qui l’entoure, il vaut mieux le présenter convenablement. Mark Wilkinson a tout réalisé et ça rend hommage de la plus belle façon à Nostradamus.
Pour finir, as-tu gardé contact avec Tim « Ripper » Owens et ses changements de projets ?
G. T. : Oui je parle de temps en temps à Tim. J’ai suivi ce qu’il a fait avec Iced Earth et maintenant il chante pour Yngwie Malmsteen. Nous allons le recroiser sur un festival cet été et ça me fera plaisir de le revoir un peu. Je trouve encore aujourd’hui que c’est un chanteur fantastique et que son travail a été remarquable au sein de Judas Priest. Personne n’aurait pu remplacer Rob Halford aussi bien que lui.
Il n’a pas beaucoup de chance dernièrement… Deux albums avec Judas Priest et puis s’en va et rebelote avec Iced Earth…
G. T. : Je ne sais pas vraiment ce qu’il s’est passé avec eux même si, évidemment, ça ne doit pas être positif puisqu’il a quitté le groupe. Il possède aussi sa propre formation avec Beyond Fear. Il a du talent donc il rebondira toujours. Il est aussi très perfectionniste. Sur scène, tout le monde – le groupe inclus – le trouvait souvent irréprochable mais lui n’était jamais satisfait de ses prestations ; il en voulait, toujours plus.
Judas Priest - Nostradamus
Columbia - SonyBMG
www.judaspriest.com
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