Mano Negra, Les Wampas, Gaëtan Roussel et une multitude de canulars, ça, c'est la carrière de Jo Dahan. Après 30 ans, parce que c’est son timing, c'est comme ça, Jo sort son premier album Ma langue aux anglais chez Because Music. De l'ironie à tous les étages, du rock à fond les ballons, teinté de punk et de rockabilly, il se lâche et bien plus encore sur scène. Challenge quand même que celui de présenter son bébé après avoir roulé avec les groupes les plus mythiques des années 80. Fallait oser. Et si c'était ça le mouvement alternatif aujourd’hui ?!

Sans sous-entendre que de bosser en groupe est un poids, ce premier album solo après 30 ans de carrière, a-t-il quelque chose de libérateur ?
Oui, j’ai fait cet album pour mener à terme toutes mes envies. Tout ce que j’avais au fond de moi, j’ai pu le faire puisque c’est moi qui décidais. Dans ce sens-là c’est libérateur, c’est une autre manière de faire. Mais avec un groupe, c’est aussi super parce que tu as plein d’idées qui arrivent de partout, c’est rare de rencontrer des gens avec qui ça roule. Mais là, je l’ai fait parce que je n’étais plus dans une dynamique de groupe, et ça fait longtemps que je fais des chansons. Beaucoup de choses restaient sur les étagères, donc un jour, je me suis dit que ce serait bien d’aller au bout.

Dans ta bio, on peut lire « Gaëtan Roussel et Jo co-écrivent tous les titres de Ginger qui sera sacré Disque de Platine. C’est l’élément déclencheur pour Jo ». Tu confirmes ?
Déclencheur, ce n’est pas le mot juste, disons que ça m’a conforté dans l’idée que je pouvais faire des choses. Avec Gaëtan, on a travaillé ensemble, mais j’ai pu réaliser plein de trucs. La différence, c’est qu’avec mon album, je l’ai fait pour moi.

As-tu un processus de création ?
Pas de recette. A la maison j’ai un ordinateur avec Pro Tools, je peux prendre ma guitare, je pose un rythme, je cherche. Mais je peux aussi avoir une idée de texte, je commence à bosser, ça se construit…

Tu l’as enregistré dans différents endroits, avec qui as-tu travaillé ?
Je l’ai principalement travaillé chez moi, en partie dans la cave de mon pote Philippe Teboul que je connais depuis l’âge de 9 ans, batteur de Manu Chao actuellement. Il a fait les batteries que j’ai enregistrées. Mais aussi au Tarik Studio à Montreuil qui est tenu par Cyril Labes, ingé son et l’Electric Studio dans le Sud. On a passé une semaine en studio avec Sylvain et France Cartigny. Sylvain a fait les guitares additionnelles, il a trouvé des idées d’arrangement sur une bonne moitié des titres. Sa sœur France a fait beaucoup de chœurs et quelques batteries. Et j’ai fait le reste ! Toutes les basses, les guitares, j’ai même fait quelques claviers. Trois chansons ont été co-écrites avec Eric Martin (C’était mieux avant, Minorité et Je donne ma langue aux anglais). Il est l’un des auteurs de Groland, mais il est aussi réalisateur, il était rédac chef de la revue satirique Zoo dans les années 2000. Il est passé boire un coup à la maison, puis après avoir bu un bon coup ( !) on s’est dit que ce serait marrant de faire une chanson. Et voilà, on en a fait 3 !

J’avais donc plein de sources de sons différentes, alors pour le montage, il fallait le faire au même endroit, entièrement. Parce que tu peux bricoler, mais à un moment, tu as besoin d’avoir une bonne table, de bons amplis, de bonnes reverbs et un mec qui sait s’en servir pour que l’album tienne debout et soit cohérent.

C’est vrai pour tous les artistes, mais je pense qu’il faut vraiment aller te voir sur scène. C’est là que se révèle toute ton énergie, plus encore que sur l’album.
Tant mieux, c’est le but du live. On amène une autre dimension. Et comme j’ai fait beaucoup de choses tout seul, sur scène d’autres gens arrivent, ils jouent différemment. Quand tu es seul, tu es dans une espèce de bulle, avec les autres, tu ouvres les fenêtres et il y a des trucs qui se passent, un nouveau son. Un son, c’est aussi important qu’un bon mot je trouve. En France, ce n’est pas très reconnu, on se focalise sur le texte. Mais un bon riff avec un bon son est aussi fort qu’une bonne phrase. Donc le fait qu’il y ait des gens différents, qui n’ont pas forcément joué sur l’album, ajoute cette nouvelle énergie dont tu parles.
Et puis, depuis le temps où j’ai écrit les chansons et aujourd’hui, il s’est passé une bonne année, on a répété. Ça prend de la patine, du corps.

Pour ton prochain album, n’envisagerais-tu pas de l’enregistrer en conditions live pour retransmettre cette énergie qui manque un peu dans celui-ci ?
Ah oui, je suis d’accord, et oui, le prochain, je vais le faire comme ça ! Mais conditions live, ça veut dire qu’il faut savoir avant avec qui tu vas enregistrer, répéter, avoir vraiment une bonne base. Le studio c’est compliqué, c’est un peu comme une photo dans la musique, capter un son à un moment. Mais effectivement, j’ai envie de le faire comme ça, j’y pensais ce matin. Pour l’instant, je sors ce premier album, et puis après, on va enfoncer le clou un peu plus loin !

Quel rapport as-tu aux instruments ?
Toutes les guitares que j’ai achetées ont une histoire, quelque chose de particulier. Il y en a une que j’ai achetée en Uruguay à un luthier dans la rue. Une autre que je voulais, une Jazzbass des années 70 que j’ai trouvée à Liverpool… J’ai aussi des Gretsch. Une Roc Jet par exemple, qui est très spéciale. C’est la même que la rythmique d’AC/DC en rouge. Un soir, j’avais 19 ans, j’avais trop bu, j’ai cassé un abri bus… et la guitare. Mais le lendemain j’avais un enregistrement. Alors je me suis dit que la prochaine guitare allait être celle-là. Quand je suis parti à Los Angeles avec la Mano, j’ai vu la même en noir. Je l’ai achetée en me disant qu’il me la fallait en rouge. Et il y a trois ans, à un concert de Gorillaz, un mec est venu me voir et m’a demandé « Ça te branche une Grestsch ? C’est une Roc Jet, elle est rouge !» Je suis passé chez lui pour l’essayer, mais je n’avais pas les sous à ce moment-là. Un mois plus tard, je lui prends, mais j’ai eu un accident, je me suis cassé le bras. Le mec l’a appris, il m’a téléphoné et m’a dit « Tiens, c’est marrant, parce que le jour où j’ai acheté cette guitare, j’ai eu un accident aussi. » J’en ai conclu qu’elle n’était pas pour moi. Mais un pote m’a dit « Non, elle est pour toi cette guitare, tu l’as cassée en 87, un partout, la balle au centre. C’est bon, tu peux la prendre ». Donc je l’ai achetée ! Je me fais des petits délires comme ça.©OlivierAubry

Revenons un peu à ce premier album. Tu l’as fait avec tes propres moyens ?
Non, j’ai eu une avance de la maison de disques. C’est grâce à ça que j’ai pu le finir. Il me fallait des partenaires à un moment donné.

Tu les as trouvés facilement ces partenaires ?
Ah non, pas facilement. Quand tu travailles avec quelqu’un, il faut qu’il comprenne ce que tu fais pour t’aider et évaluer combien ça va coûter. J’ai vu Emmanuel de Buretel chez Because qui me connaît depuis l’époque de la Mano Negra, il a capté le truc et on l’a fait. Il a compris ce à quoi ça pouvait ressembler.

Question de confiance.
Oui, c’est ça. Le producteur est là pour vendre ton disque, donc pour le vendre bien, il a besoin de savoir ce que c’est, ce que le mec dégage, ce qu’il a envie de faire, ce qu’il raconte, vers où il va. En fait, le premier qui m’a vraiment aidé, c’est Jérôme Delepine d’Arsenis et Champagne. Je lui ai envoyé des chansons. Il les a trouvées super et a voulu le faire avec moi. Il m’a vachement soutenu. Emmanuel de Buretel est arrivé en fin de boucle et on a pu le finaliser.

Entre le temps où tu as commencé à présenter tes morceaux et le temps de trouver ces partenaires, as-tu eu des périodes de doutes ?
Disons que j’ai un profil un peu spécial. Tu vois, j’ai 48 ans, on est un peu des têtes de cons. Je dis « on », je pense aux gens avec qui j’ai fait des groupes à la fin des années 80. L’histoire a tellement changé dans la musique en France. Nous, on vient d’un mouvement où on faisait ce qu’on voulait. On ne voyait pas les mecs des maisons de disques en rendez-vous, dans les enregistrements. On vient de là et j’ai gardé ça. Je suis arrivé en disant voilà le truc. Il fallait que je fasse mes preuves par rapport au fait que je chante et que ce soit mon projet. Je n’étais plus juste bassiste ou guitariste ou juste compositeur. C’est mon album, donc c’était plus compliqué, forcément.

Difficile de te rencontrer et de ne pas te faire parler de ton parcours musical ! Tu as donc commencé par le métro. Quelles traces gardes-tu de cette époque ?
Ça a été mon école. Quand on a démarré dans le métro, c’était vraiment pour manger. Ce n’était pas genre « Ça va être marrant ». Non, c’était pour manger. J’ai vu Daniel Jamet faire la manche et je me suis dit que j’allais faire pareil. On s’est donc retrouvés à jouer ensemble. Un wagon, c’est une petite salle de spectacles, les gens sont assis.

Sauf qu’ils ne t’attendent pas.
Non, c’est vrai, ils n’ont pas demandé à ce qu’on soit là, c’est un exercice. Mais je l’ai super bien vécu, on a rigolé, on n’arrêtait pas de faire des sketches, on chantait nos chansons. Ça nous a permis d’apprendre à jouer parce qu’on était nuls au départ. Je ne savais même pas accorder une guitare ! Mais on jouait huit heures par jour, on n’avait que ça à faire. On a appris le sens de l’improvisation, avec la proximité, tu balances une connerie, tu joues, tu captes un moment comme ça dans le wagon. A force de faire ça, pendant deux ans, on est devenus bons. C’est un super souvenir pour moi !

Puisque tu ne connaissais pas la musique, comment es-tu arrivé à elle ?
Alors ça, je ne sais pas du tout, je ne peux pas te l’expliquer. Pourquoi tu ne penses qu’à ça, que tu n’as envie que de ça. J’avais envie de monter un groupe, le fantasme de beaucoup d’adolescents. Mais je ne sais pas pourquoi. Par contre, ce que je sais, c’est que la première fois que j’ai entendu les Who avec Philippe Teboul, ça a changé ma vie, mais vraiment. On les a écoutés toute la nuit, c’était tellement bon.

Alors qu’on jouait huit heures par jour par nécessité, on a rencontré Manu Chao. Contrairement à nous qui étions de mauvais élèves, lui était tenace. Notre côté improvisation appris dans la rue et son côté travailleur a donné toute l’originalité au groupe. Le bon et le mauvais élève ensemble. Le mauvais élève a des qualités au milieu de la classe, le premier aussi bien sûr, donc les deux ensemble, ça a fait un truc bien. Manu avait besoin de spontanéité, de fraîcheur, et nous, ça nous a fait du bien de se dire « mais faut bosser quand même ! ». La Mano, c’est cinq ans sans rentrer à la maison, on a appris la scène, le succès, l’argent. Ça nous a permis de faire plein de choses. Et puis la Mano s’est dissoute, sans tâches, tout le monde était fatigué.

Arrivent les Wampas.
Oui, mais avant eux, j’ai fait du théâtre de rue avec Royal de Luxe. J’étais manipulateur des grandes marionnettes. J’ai fait des canulars avec Manu Casquette qui était un des chanteurs des Casse-Pieds. On s’est retrouvés au journal de 20 heures sur TF1 avec Bruno Masure avec ça ! On a fait un deuxième canular avec les poubelles des stars. Là aussi, on en a parlé dans les journaux, ça a été médiatisé, une coupe dans l’Express... Il existe plein de vidéos ! J’ai fait des apparitions dans Groland. Justement, les mecs de Groland, Gustave Kervern et Benoît Delépine voulaient que Gaëtan Roussel fasse le générique de fin du film Louise Michel. Je l’ai contacté, mais il a préféré qu’on le fasse ensemble, vu que c’était mes potes. On a donc fait un morceau, et son premier album. C’est comme ça qu’on est arrivé à faire Ginger. Bref, j’ai fait plein de trucs différents, pas forcément dans la musique.

J’ai lu dans une chronique à propos du titre C’était mieux avant, quand arrive le nom des Wampas « on pige alors instantanément que Jo Dahan règle ses comptes avec cynisme ! » C’est le cas ?
Oh, avec humour on va dire ! Les Wampas m’ont viré à l’unanimité ! C’est une blague, je m’en fous. J’aime bien les Wampas, je trouve que Didier et Phil écrivent des super chansons. Philou est venu jouer avec moi à La Boule Noire. Donc si le cynisme ça veut dire humour noir, oui. Mais ça va, on peut rigoler quand même !

Justement, tu étais très entouré à La Boule Noire. On a pu entendre Richard Kolinka (Téléphone), Sylvain Cartigny, Philippe Almosnino (Les Wampas), Thomas Darnal (Mano Negra), Philippe Teboul, Daniel Jamet…
Ah oui, j’étais bien, c’est monté doucement et ça n’a pas arrêté de monter. Tous ne seront pas forcément présents sur toutes les dates, ils sont très pris, comme Richard, Philippe ou Daniel. Un coup ce sera l’un, un coup l’autre. Je compose avec ça. Mais ce qui me fait plaisir c’est que ça démarre là, ça y est, c’est parti !

Internet :
www.facebook.com/jodahanmusic
http://press.because.tv/jodahan/

Photo
©OlivierAubry
Label
Because Music

Jo Dahan, made in 2014  Ma langue aux anglais