Pour les inconditionnels, l’histoire remonte peut-être à plus loin qu’il n’y paraît, mais seuls vous décidez d’à partir de quand vous voulez raconter la genèse de Marécage…
Jean : Tout a commencé en… euh, on va dire il y a longtemps. J'étais bassiste à l'époque et avec Paul on a formé un groupe qui s'est appelé Dazibao : trois albums, des tournées un peu partout en France et à l’étranger, et puis le groupe s'est séparé au bout de 10 ans de ce qu'on appelle un succès d'estime. Après plein de projets tous plus underground les uns que les autres, je voulais chanter mes propres chansons avec un groupe. J'ai rencontré Sémi que ça branchait mais la batteuse prévue pour le projet est partie à Berlin. Du coup j'ai appelé Paul qui vit maintenant à Lyon. C'est dans les vieux pots… et, surtout, un batteur est un élément crucial d'un groupe, il n'était pas question de prendre n'importe qui.
Le mieux, c’est de l’écouter, on est tous d’accord, mais avec quels mots définiriez-vous votre musique ? Quelles sont vos influences ?
Jean : J'appelle cela de la chanson électrique et bruyante, surtout pour ne pas parler de “rock français “ ; parce qu'il y a une longue tradition de médiocrité dans le rock français avec heureusement quelques exceptions. Les influences sont en général assez anciennes évidemment, on n'est pas des perdreaux de l'année, même si j'écoute des trucs récents comme M.I.A. (pas trop quand même). Alors je peux citer Nick Cave, the Gun Club, the Jesus and Mary Chain, the Brian Jonestown Massacre, entre beaucoup d'autres. En France, si on fouille, il y a la moitié de ce qu'ont fait Bashung, Gainsbourg, Dutronc et Higelin, le premier album de Kat Onoma, les Coronados, Parabellum, je suis un énorme fan du phrasé de Schultz (RIP), cf. leur titre « Papa », par exemple où il se sert de chaque consonne comme d'un trampoline, Kas Product, plein de choses de Jad Wio… Quelques 45t de Ronnie Bird, de Métal Urbain, d'Asphalt Jungle et des Olivensteins…
Il s’agit clairement de ton projet Jean, toutefois, Paul et Sémi ont-ils leur mot à dire, leurs notes à apporter ? En d’autres termes, qui fait quoi ?!
Sémi : Quand j’ai rejoint le groupe, il y avait déjà un paquet de compositions prêtes et maquettées par Jean. Du coup pour certains titres, j’ai pris les lignes de basses d’origine sans rien changer parce qu’il n’y avait rien à dire de plus. Pour d’autres, j’ai parfois assez profondément changé les lignes de mon côté avant d’essayer tout ça en répétition. Quand ça colle, on garde. Quand ça ne colle pas, on ajuste. C’est un travail de groupe assez classique en fait…
Paul : C’est vrai que pour les lignes de basse et les batteries on est partis du matériau présent sur les maquettes. Après j’ai modifié et adapté les rythmes à mon jeu en essayant de respecter l‘esprit des morceaux et de colorer certains passages.
Ce qui compte, c’est la musique, à l’anglo-saxonne. Seulement Jean, tu écris et chantes en français, or ce n’est pas tant ce que tu veux mettre en avant. Mes oreilles indiscrètes ont décelé que tu ne supportais pas quand on cherchait à comprendre les textes ! Ouais, OK, pardon mais… tu peux m’expliquer ça pour comprendre pourquoi je ne dois pas chercher à comprendre ?
Ce n'est pas tout ça fait ça quand même. Mais voilà : on vient régulièrement me voir après un concert pour me dire ah, quel dommage, il y avait un vrai problème, on ne comprenait pas tes textes. Or je me fiche que l'on comprenne tous mes textes, surtout en concert, et le “problème“ en question provient d'un biais littéraire typiquement français. Ce n'est pas par hasard si le rap est tellement ancré par ici... Chez nous, il est issu en ligne directe de la chanson à texte, d'où le flow assez médiocre de beaucoup de rappeurs français. Alors qu'en ce qui me concerne, les paroles doivent fondamentalement s'intégrer à la musique. Elles doivent d'abord sonner, c'est essentiel. Ensuite, il faut qu'elles évoquent quelque chose, une impression, un sentiment, un moment. Enfin, elles peuvent raconter, mais ce n'est pas obligatoire. Ça ne veut pas dire qu'on peut faire n'importe quoi. Disons que la mélodie et la construction priment, mais le texte est aussi important qu'un arrangement, ni plus, ni moins. Je fais autant attention au choix d'un mot, par son articulation, ses consonnes, qu'à celui d'une note de guitare et à l'inflexion, à l'accent sur une syllabe, qu'à un coup de médiator, le plus instinctivement possible, et au fait c’est pour cela que je chante en français : pour l’instinct.
En autoproduction pure et dure, où et dans quelles conditions a été enregistré l’EP ? Quelqu’un extérieur au groupe est-il intervenu ?
On a enregistré la batterie nous-mêmes dans un local de répétition des Studios Campus sur un vieux PC portable avec une Alesis iO4 et 4 micros, les autres instruments jouant à volume réduit. Puis on a enregistré et mixé le reste à la maison. Tout a été réalisé avec Audacity sous Linux. Pas de VST, pas de simulation d'ampli. Il est possible d'obtenir un résultat correct avec des outils pas très sophistiqués à partir du moment où on sait ce qu'on veut. On a fait sans argent mais en prenant tout notre temps pour recommencer jusqu'à ce que l'intention passe.
Paul n’étant pas à Paris, vous répétez régulièrement, mais peu. Cette organisation est-elle un frein, ou au contraire, une façon d’aller à l’essentiel ?
Jean : Ça nous pousse à plus d'efficacité. On répète les chansons chez nous, on prépare tout, et quand on se retrouve on ne perd pas de temps. En fait, les musiciens classiques fonctionnent aussi de cette manière. C'est relativement facile pour nous parce que je maquette les chansons et les autres peuvent les écouter, et puis on enregistre les répétitions ce qui sert ensuite de référence.
Sémi : C’est une contrainte très saine. Avec notre fréquence de répétitions et l’intensité des sessions, on garde toujours un peu de spontanéité et d’envie de jouer. Ça permet de se tenir loin de toute lassitude que pourraient générer des répétitions trop fréquentes et forcément un peu mécaniques.
Paul : C’est une façon de fonctionner assez efficace. Vu le nombre des répétitions, on doit travailler en amont, on n’arrive pas en répète dans le but de jammer et de voir si quelque chose d’intéressant en sort (même si ça serait pas mal de pouvoir le faire de temps en temps).
A cette question, je m’attends à ce que Jean s’en donne à cœur joie ! Mais pas que, Sémi aussi sûrement ! Ah et puis Paul aussi peut-être… Côté guitares, amplis, effets, quel matériel a été utilisé ?
Jean : Je joue principalement sur une Gretsch Power Jet Firebird et une ou deux pistes ont été enregistrées avec une Rickenbacker 620 (HB Rick au chevalet). Je n'avais pas encore ma 12 cordes Loïc Le Pape. Elles passaient à travers mon pedalboard (EHX microPOG → Korg Pitchblack → Fender Blender → Artec Analog Delay → Mooer Trelicopter (+ clean boost) → Gecko Électrique Ballast Trouble Booster → Boss RV-5). En live, je joue à travers un Fender Hot Rod modifié (HP Jensen et 12AY7 en V1) mais, pour l'enregistrement, je ne sonnais bien qu'en me branchant en direct sur la carte son… Ce n'est pas très orthodoxe mais ça a marché à partir du moment où j'ai adapté le jeu de la main droite. D'une manière générale, le son dépend énormément du jeu de la main droite et, mieux encore, je dirais que c'est mon critère principal pour juger d'un guitariste.
Sémi : Mon arsenal est relativement restreint en fait. Je joue sur une Jazz Bass Vintage Modified de Squier à travers une fuzz EHX Bass Nano Big Muff et une pédale de disto Heptode Heavy Tone. La fuzz est toujours enclenchée sauf sur deux titres de notre set-list. La disto ne sert que sur un morceau bruitiste pour partir en larsen et faire la guerre avec la batterie. En ampli, je joue sur ce que je trouve, l’essentiel étant qu’il encaisse bien la fuzz. C’est un rig simple mais qui me permet de jouer comme Kim Deal avec le son de Lemmy Kilmister ! Pour l’enregistrement de l’EP, je suis passé par un Pod HD Pro qui, contre toute attente, fait très bien le job pour la basse.
Paul : J’ai rarement l’occasion de jouer sur ma batterie, une Tama Performer BB, il faut s’adapter. Les éléments perso que j’utilise sont ma caisse claire et mes cymbales, une Piccolo Pearl métal et une crash/trash Ufip qui font le bonheur de Jean et Sémi.
Un groupe comme Marécage a forcément des rêves. Quels sont-ils ? Le nôtre étant de vous écouter sur scène ! Avez-vous des actus et projets dans ce sens ?
Ah oui, j'ai un rêve en ce moment, que les programmateurs répondent aux mails, ne serait-ce que pour dire non. C'est apparemment un phénomène parisien : je connais des californiens, donc habitués aux programmateurs très sollicités, qui tournent régulièrement en Allemagne et maintenant en Angleterre, alors que personne ne répond à leurs mails ici. Il faudrait insister, rentrer par la fenêtre quand la porte est fermée, mais on n'a malheureusement pas un esprit assez vendeur. Les exceptions sont très rares (le Supersonic par exemple, et j'espère qu'on arrivera à se synchroniser un jour). On va continuer à prospecter.
On pourrait intégrer un autre guitariste. Il faudrait quelqu'un qui ne fasse presque rien mais qui le fasse très bien. Une Jazzmaster ou une Danelectro serait un plus. Mais rien ne presse.
Le rêve ultime ? Pouvoir enregistrer un album avec des vrais moyens sans compromis. Je connais trop bien l'argument “mais est-ce que tu veux vendre ta musique, oui ou non ?“. Il ne tient pas. Ce n'est pas en gommant la personnalité d'un artiste qu'on arrive à intéresser le public. Bref, quand on enregistrera de nouveau, ce sera peut-être long mais résolument sans concession. Sinon ça n'en vaudra pas la peine.
De qui, de quoi auriez-vous besoin pour le bon développement du groupe ? Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous êtes confrontés ?
Comme tous les groupes, il faut pouvoir jouer et avoir des contacts. Contrairement à d'autres, l'éloignement pose des problèmes comme l'impossibilité de réagir quand on propose un concert pour le surlendemain. Ah, et on est vieux, donc on a moins d'énergie qu'à 20-25 ans et aussi moins d'illusions sur la possibilité de vivre de sa musique.
Pas de question, la voie est libre pour dire ce que vous voulez !
On peut parler des copains, alors ? Il y en a que j'aimerais bien voir percer. Teleferik qui ont été interviewés ici même. Les DelMar, des filles à l'origine très rhythm and blues mais qui évoluent vers plus d'acoustique. Sharon Tate Modern, une formation lyonnaise fusionnant obsessions malsaines et sophistication dans laquelle jouent Paul et le chanteur Sébastien Perrin qui a passé des années à Manchester avec son groupe Naked (on Drugs). Alma Forrer, de la chanson acoustique tendant vers le folk et la country, qui a une voix et des chansons à tomber. Le Cabaret Contemporain, pas du tout cabaret mais très contemporain, de la techno avec deux contrebasses, une batterie, une guitare et un clavier. Et j’allais oublier Walter’s Carabine, Logos, Killing Flies… Tous ces gens sont incroyablement talentueux et j'espère qu'ils trouveront un public malgré leur grand tort de ne pas être issus d'un moule permettant de les programmer dans les SMAC et les festivals ou de les passer en radio.
Lien écoute :
https://soundcloud.com/mar-cage
Question délicate… Dates de concerts :
On devrait jouer au Supersonic en décembre, donc à suivre…
Liens Internet :
http://marecage.net/
www.facebook.com/marecage.0/
Photo : copyright © Paul Zundel
Cette rubrique est aussi la vôtre, alors n'hésitez pas à envoyer vos productions pour être interviewé par Maritta Calvez à maritta[a]guitariste.com (remplacez le [a] par @).
J'apprécie beaucoup ce style sonore, "Brume" a aussi un petit côté sonore à la Bowie (Fall Dog Bombs the moon) très plaisant !