Nous avons profité de la masterclass de François Sciortino chez le luthier Richard Baudry pour revenir avec lui sur son parcours et son quotidien de guitariste professionnel. C'était l'occasion de demander au guitariste et à son luthier comment s'était déroulé la conception des 2 guitares Signature François Sciortino. Bonne lecture !
Interview François Sciortino
Guitariste.com : Bonjour François très heureux de te rencontrer dans le cadre de cette Masterclass chez le luthier Richard Baudry. Question un peu étrange pour commencer, mais est-ce que tu apprends quelque chose toi aussi lorsque tu donnes des cours magistraux ou individuels ?
François Sciortino : Oui tout à fait, ça arrive parfois quand tu enseignes qu'un élève fasse les choses d'une façon à laquelle tu n'avais pas pensé avant. Ou la personne en face de toi va te poser une question, du coup lever une problématique nouvelle qui te fait avancer. C'est une véritable interaction et un échange.
Comment s'est passé ton apprentissage de la guitare ? Plutôt en autodidacte ou as-tu suivi un parcours académique ?
J'ai commencé à 16 ans en autodidacte, en grattant des accords comme tout le monde. Ensuite j'ai découvert Marcel Dadi avec un disque et j'aimais bien ce côté de jouer en solo. Et parallèlement je jouais de la guitare électrique dans des groupes rock, funk, tout ça. Et donc j'ai toujours eu ce mélange d'influences. J'ai également étudié la guitare classique et l'harmonie jazz pendant 5 ans au conservatoire.
Que penses-tu des plateformes de cours en ligne et des vidéos pédagogiques sur Youtube ?
Il y en a qui sont très bien mais cette masse de vidéos, si tu veux, ça peut être difficile car tu ne sais pas quoi choisir. Tu bosses un truc, puis un autre, et finalement là où tu te dis que tu as plus d'informations, finalement, tu risques de te noyer et de partir dans tous les sens si tu n'as pas une discipline.
L'avantage de prendre des cours avec une personne réelle, c'est que le professeur te donne un cadre. Il te dit quoi faire et ça t'amène à progresser. Il y a plein de gens qui réussissent à bien jouer en apprenant sur les tutos de YouTube mais en y mettant une certaine rigueur.
J'ai vu sur ton site que tu donnes des cours sur Skype...
Oui, je suis prof dans un conservatoire (Gaston Litaize à Montereau-Fault-Yonne où François a été élève, NDLR) et je donne aussi des cours particuliers en dehors également, en face à face ou sur Skype en effet. Ce sont des gens qui viennent plus particulièrement pour la guitare Fingerstyle dans le second cas.
Tu me disais que tu joues également de la guitare électrique. Est-ce que tu as une approche différente en fonction de l'instrument que tu as entre les doigts ?
Complètement ! Pour moi la guitare électrique au début c'était le blues, avec Stevie Ray, le funk etc. Je viens récemment de m'acheter une Telecaster et j'adore tout ce qui est country en ce moment. J'aime bien le gros son aussi même si j'en fais pas. Le metal tout ça, ça défoule de temps en temps !
Quel a été le déclic pour toi de te spécialiser dans le fingerpicking ?
En fait, assez rapidement j'ai aimé ce côté : tu prends la guitare et tu es autonome. Tu fais tes lignes de basse, tu fais ta mélodie. Moi j'ai une ouverture musicale très large, et ça me permet de jouer dans plein de styles différents.
Est-ce qu'il t'arrive de jouer en groupe, ou pour un chanteur, ou encore d'être un "simple" musicien de studio ? Toi qui a l'habitude de tout jouer de A à Z est-ce que c'est un exercice difficile de n'avoir qu'une seule partie à jouer ?
Oui ça m'arrive régulièrement et non ce n'est pas difficile. J'ai récemment enregistré des guitares pour un artiste dont on va entendre parler en France très prochainement, quelque chose de très actuel, un peu salsa, etc., pas dans mon registre habituel. Je joue de la guitare nylon dessus dans un style plus latino. C'est pas du tout la même chose de se mettre au service d'une chanson. J'ai pas du tout l'impression d'être freiné. C'est pas parce que tu as une Ferrari que tu roules toujours à 300km/h. Du coup c'est un travail intéressant de se dire : là qu'est-ce qu'il faut pour ce morceau... Là, le morceau en question il a 3 accords et avec mon expérience, j'arrive à les jouer d'une certaine façon pour apporter une couleur différente ou faire ce que veut l'artiste et/ou son producteur.
Comment ça se passe ce genre de travail ? Tu es démarché par des boites de prod ou des musiciens en direct ? C'est une grosse partie de ton activité de musicien professionnel ?
Là, j'ai reçu un coup de fil d'un producteur qui connaissait un de mes amis pour qui j'avais déjà enregistré. Et donc le réseau, ça aide. Mais à côté de ça mon travail principal c'est enseignant. En plus je fais mes albums, mes masterclass, j'enregistre quelques séances mais si tu veux j'ai fait un choix personnel et familial d'avoir cette base. Parce que vivre que de la musique aujourd'hui c'est quand même compliqué et incertain. J'ai besoin d'un équilibre personnel et aussi d'une base financière stable. Ça me permet de choisir ce que je fais. Si j'ai pas envie d'aller sur tel ou tel projet, je suis pas obligé de courir le cachet. Tu fais que des choses qui te plaisent comme aujourd'hui avec cette Masterclass chez mes amis Richard et Catherine Baudry.
On parlait tout à l'heure de spécialisation, mais à l'écoute de ton dernier album "Saltimbanque", tu joues dans des styles très variés. C'est au final difficile de te coller une étiquette précise ou de dire "ça c'est le son Sciortino".
Je me suis posé cette question là. Il y a des artistes qui ont une très forte identité musicale et tu les reconnais tout de suite. C'est un avantage et c'est un inconvénient car pour certains d'entre eux, d'albums en albums, au final t'as pas de surprise. Alors moi j'essaie d'être reconnaissable dans mon phrasé, dans mes choix d'harmonies plutôt que dans un style en particulier. Je peux faire un tango, un boogie, un blues… j'aime plein de trucs et j'ai pas envie de me limiter.
La musique instrumentale a l'avantage de ne pas avoir de barrière de la langue pour traverser les frontières : est-ce que ça t'a ouvert des opportunités à l'étranger ? Est-ce que tes vidéos sont vues un peu partout dans le monde ?
Je vends mes albums un peu partout dans le monde comme tu dis. Et la musique sans parole ça permet de jouer partout. Et si tu veux ça m'a permis d'identifier que sur certains de mes morceaux j'avais cette identité française reconnaissable. J'ai fait un festival au Canada avec Antoine Dufour, Andy McKee, etc., je ne suis du tout dans ces univers là, mais ça a fonctionné parce que je ramenais quelque chose de différent. C'était peut être moins moderne. Pendant un moment j'ai joué beaucoup de valses, c'est quand même une musique plutôt européenne, ou du musette par exemple.
Pendant le petit concert qu'on vient d'entendre, tu nous expliquais que tes chansons naissent souvent d'une thématique que tu as en tête, ou d'un titre que tu retranscris ensuite à la guitare. Toi qui aime varier les styles, c'est pas compliqué de composer un album avec un fil conducteur ?
Ça m'est arrivé sur l'album Songs for the Moon d'avoir une couleur uniforme et à mon avis c'est aussi le plus représentatif de mon identité musicale. C'était le cas aussi sur Life is Good avec des titres assez exotiques, des calypsos, des couleurs et sonorités très chaleureuses. Mais après j'ai envie de te dire qu'on décide pas. Je compose des morceaux, on les met ensemble et on voit ce que ça donne.
Parlons un peu de tes guitares. Tu es souvent sollicité sur les salons de luthiers pour effectuer les démonstrations de leurs magnifiques guitares. Et est-ce que ça fait de toi un client "chiant" dans le sens exigeant et pointilleux du terme ?
Non je pense pas être chiant. Ce qui m'intéresse dans l'instrument c'est qu'il soit équilibré au niveau sonore et confortable à jouer. Après le reste, je donne des pistes dans les grandes lignes, j'aime bien ci, j'aime bien ça et après je lui laisse carte blanche.
Et si j'ai bien lu tu as déjà succombé aux talents de plusieurs d'entre eux : Alain Quéguiner, Benoît de Bretagne, les frères Chatelier , Thomas Fejoz (x2) et maintenant Richard Baudry chez qui nous sommes aujourd'hui. C'est un métier dangereux démonstrateur finalement ?
(Il rigole) Heureusement qu'ils me font des prix ! Alors j'ai plus de guitare Quéguiner, ni de Benoit de Bretagne, ni de Chatelier. La liste se réduit tu vois. Ça m'arrive de jouer un instrument pendant 10 ans puis après j'ai envie d'autre chose, je le joue moins donc je le revends. Après je ne suis pas spécialement attaché, à me dire "ça c'est l'instrument de ma vie je le revendrai jamais". Il y a des guitares qui passent, ce sont des outils aussi pour moi. Après il y a des guitares auxquelles je suis quand même un peu plus attaché pour des raisons personnelles.
Avec Richard vous avez développé 2 guitares Signature François Sciortino. Avez-vous prévu d'autres évolutions encore ou s'agit-il de la version définitive ?
On a fait un premier modèle qui a servi de base, et après on l'a fait évoluer vers cette 2ème version que tu peux voir aujourd'hui. Il y a quand même des petites choses que j'ai envie de changer mais à moment faut aussi savoir s'arrêter. Il faut aussi faire avec l'instrument, avec ce qu'il est. Parce que finalement l'instrument parfait n'existe pas.
Pour terminer, quelles sont tes prochaines actualités ?
Je serai présent sur le festival Guitar Issoudun du 31/10 au 02 novembre pour un concert et une masterclass. Après ça je joue en janvier avec Gaëdic Chambrier et toutes ses guitares historiques. Et après j'irai en Italie au Six Bars Jail, un club super connu là-bas avec des guitaristes du monde entier qui s'y produisent régulièrement.
Interview Richard Baudry
Guitariste.com : Bonjour Richard. Je vais te poser la même question qu'à François pour avoir ta version des faits : lui qui a eu en démonstration ou chez lui de très belles guitares de luthiers, est-ce que ça fait de lui un client plus exigeant que les autres ?
Richard Baudry : Non bien au contraire. Avec François ça fait au moins 15 ans qu'on se connaît, qu'on se rencontre sur les salons, il voit ce que je fais, il essaie mes guitares et il nous a fait plusieurs banc d'essais. Il est venu à l'atelier, et ce soir là il m'a demandé si ça m'intéresserait de lui faire une guitare. Tu te doutes de ma réponse.
Il m'a exposé ce qu'il recherchait. Il a beaucoup joué sur des OM, il a même eu une Thomas Fejoz plus petite type 000 Parlor. Il voulait un modèle entre les 2 finalement. Mon modèle de guitare classique, j'avais eu l'idée de la faire en folk. Après qu'il l'ait essayée on a eu la même idée, en y ajoutant un pan coupé.
On a fait un premier modèle, un premier jet si tu veux avec pour le fond-éclisses un bois qu'il ne connaissait pas bien , le Goncalo alves, mais qu'il avait aimé une guitare sur laquelle je l'avais utilisé.
Pareil pour le manche il a testé plusieurs guitares du Showroom et il m'a suffit de copier la largeur et la rondeur du manche de celle qui lui plaisait le plus.
Ça représente un challenge technique pour toi d'adapter un format classique cordes nylon en version folk cordes acier avec plus de tension ?
Non ça s'est fait très bien. Il faut juste adapter et redessiner les barrages. On part sur une base d'un barrage en X que j'adapte à ma façon, comme j'ai l'habitude et comme font tous les luthiers.
Combien de temps a duré la phase de test de ce premier modèle ?
Il l'a gardée 3 ou 4 mois et il m'a donné tout son ressenti. Il l'a trouvée super à jouer mais trouvait qu'elle manquait un tout petit peu de basses. Il en avait plus qu'une Parlor mais c'était pas le son qu'il avait en tête. Il voulait équilibrer un peu plus le truc. Donc on est partis sur une forme un peu plus profonde avec des éclisses un peu plus larges et il m'a demandé de la faire en palissandre de Madagascar, un bois qu'il connaît bien. Pour des raisons esthétiques, on a aussi modifié légèrement le pan coupé, un peu moins creusé sur cette 2nde guitare. Et là quand il l'a eue ça a tout de suite "matché" et il a l'air plutôt satisfait.
En quoi est-ce différent ce modèle Signature François Sciortino d'une commande d'un client lambda ?
On travaille en partenariat avec François. C'est un guitariste qui a une aura, et qui touche énormément de monde. Il nous aide à vendre nos guitares. Nous on n'a pas les moyens des grosses marques. François il nous a payé sa guitare, avec une remise et surtout la possibilité de la faire évoluer. Il nous a rendu la première qui a été revendue depuis. Moi ça me permet de progresser vers ce qu'il veut et de faire progresser mon modèle. Donc c'est vraiment un partenariat et c'est une démarche très intéressante.
Tu as également fait un modèle Signature Eric Gombard...
Oui, avec Eric on a fonctionné un peu différemment : lui savait tout de suite ce qu'il voulait, c'était mon modèle classique, la même forme que celle de François mais en classique. Il s'agit d'un modèle que j'ai déjà fait plusieurs fois et Eric ça faisait longtemps qu'on discutait de la fabrication de ce modèle. Alors le projet était déjà très avancé.
Quels sont les projets ou nouveautés de la maison Baudry Guitares ?
Nous serons au Festival Guitare Issoudun, un super salon avec une bonne ambiance. Là je viens de commencer un nouveau modèle : c'est la guitare de François mais en frêne ondé cette fois.
Un grand merci à François pour sa disponibilité, son humour et tous les conseils distillés au cours de la Masterclass. Merci également à Richard et Catherine Baudry pour l'organisation et l'accueil de cet événement très convivial.
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