Suite de notre entretien avec Mathieu Pascal de Gorod. On en apprend plus sur son rapport avec la guitare et les influences qui l’ont aidé à bâtir son style et sa technique.
La première partie de l'interview est disponible ici.
Quand on t'écoute jouer on sent un nombre assez important d'influences. Quels ont été les grands "mentors" dans différents styles que tu as eu au cours de ta carrière ?
Mathieu Pascal : Le premier guitariste dont je suis tombé amoureux c'était Slash. J'avoue que quand j'étais ado son jeu me captivait. J'ai commencé par le double album Use Your Illusion, avec le lead monumental de la fin de November Rain, ou celui du plus méconnu Estranged. Pour moi c'était le sommet de la classe ! Je trouve qu'il a vraiment un style à lui. Je reconnais ses influences pagiennes mais il a une touche et son différent, des placements de notes innattendus qui lui sont propres. Je suis passé ensuite par Metallica évidemment, plus pour les riffs d'Hetfield que pour les solos d'Hammet, même s'ils font de très bons exercices finalement. Pour moi c'est la base du style metal, on peut trouver du Metallica dans chaque groupe actuel, j'ai l'impression. J'ai aussi eu bien sûr une phase Yngwie Malmsteen, mais qui s'est vite essoufflée. J'ai creusé un peu dans le style guitar hero néo classique et j'ai enfin découvert Marty Friedman et son album Dragon's Kiss, qui reste encore aujourd'hui mon album n°1. Il m'a instantanément accroché l'oreille. Certains disent qu'il joue faux, mais c'est vrai qu'il a une manière d'approcher les notes très particulière, une technique de main droite unique, donc tout ça donne un son et des mélodies ultra originales. J'adorais aussi son univers un peu japanisant, un peu oriental, avec ses pentatoniques modales trés exotiques (regardez ses videos pédago Exotic Scales et Melodic Control).
Mais ce qui m'a vraiment fait tomber là dedans, et si vous écoutez ce disque vous comprendrez surement pourquoi je fais la musique que je fais, c'est que quasiment tous les morceaux sont un déballage de double- croches ininterrompu, des arpèges, des pentas, des harmonisations à deux, trois, quatre guitares, des changements de tempos, le tout avec panache et rock ‘n’ roll ! Bref une intense frénésie dont je me suis toujours inspiré par la suite. Je suis très fan de Jason Becker aussi évidemment, avec qui il formaient Cacophony. Ils ont des styles indéniablement proches mais peut-être que Becker est un peu plus rigoureux et technique, ça m'a moins fait d'effet en tous cas.. Un peu plus tard il y a aussi eu John Pettrucci et Dream Theater. Même si je ne suis plus ce groupe depuis très longtemps, l'album Images and Words m'avait collé une sacrée claque en 92. C'était la première fois que j'entendais des métriques impaires, forcément ça impressione quand on s'y attend pas ! Surtout j'ai eu entre les mains sa video Rock Discipline, la meilleure video pedago que j'ai jamais vue, la plus efficace pour moi en tous cas. Je me suis mis à bosser ses exercices 5 à 6 heures par jour, et en assez peu de temps j'ai pu faire des gros progrès, sur ma maudite main droite surtout. Il m'a vraiment aidé à me faire une vraie méthode de travail, avec un métronome, des objectifs, une motivation de toujours mieux faire. Je me suis ouvert musicalement un peu plus tard, avec mes cours d'électro-acoustique au conservatoire et l'accès à leur bibliothèque et médiathèque. J'ai découvert les musiques traditionnelles du monde, le jazz un peu aussi. Je ne suis pas vraiment un fan de jazz, il y a seulement quelques artistes ou groupes dont je suis fan. Al di Meola par exemple, pour citer un guitariste. Mais bizarrement, sur les albums que j'aime, les vieux des années 70, c'est plus les autres musiciens, basse batterie percu clavier qui me font vibrer. J'ai une passion pour le son de ces années là, le jazz-funk, Herbie Hancock, Billy Cobham, Mahavishu Orchestra, Lalo Schiffrin, Don Ellis, etc... Le truc dansant qu'on retrouve un peu dans Gorod parfois !
On sent une volonté de ne pas vivre sur tes acquis à la fois dans la manière de composer et mais aussi dans la façon de jouer. Quelles sont les étapes que tu franchis avec le nouvel album de Gorod, A Maze Of Recycled Creeds ?
M. P. : C'est surtout sur l'écriture que j'ai beaucoup bossé pour ce dernier album. Je n'ai pas vraiment exploré de nouvelles techniques, si ce n'est peut-être l'utilisation plus fréquente des pentas modales, et des plans ou phrases à deux notes par corde qu'on peut créer avec. J'ai pas mal creusé là dessus ces dernieres années, toujours inspiré du travail de Marty Friedman en fait, mais en essayant de trouver des choses nouvelles. Par contre j'ai pris le temps de vraiment bien lécher la composition. Pour le précedent, A Perfect Absolution, on avait une dead line pour l'enregistrement, et j'ai dû boucler rapidement l'écriture pour que l'album sorte en temps voulu. Là on n'a pas eu cette contrainte. Comme on faisait tout dans mon studio et qu'on avait pas posé de date pour une éventuelle sortie/tournée. J'ai eu tout le temps de faire comme j'avais envie. J'étais un peu frustré de pas avoir eu ce temps la dernière fois, donc j'avais envie de faire un album dense, pas forcemment compliqué d'approche mais qui contiendrait des tonnes de détails qu'on découvre au fur et à mesure des écoutes. C'est un peu ça le plus compliqué je trouve, il faut que ça ait l'air simple de loin mais que ça reste frénétique et chargé quand on écoute attentivement. J'ai essayé de soigner toutes les articulations, mis un maximum de variantes du même riff etc. Notre nouveau batteur Karol Diers m'a bien aidé sur ce coup. Il a parfaitement intégré ce concept de faire sonner simplement des choses compliquées, et inversement. J'ai essayé aussi un peu plus de travailler les ambiances, chose dont je suis incapable habituellement. Il faut toujours que ça bourre coûte que coûte et j'ai jamais laissé beaucoup de place à des notions comme l'espace ou la longueur, à part peut-être pour Transcendence, le morceaux progressif de 15 minutes qu'on avait sorti en 2011. Il y a quelques tentatives de créer ce genre d'ambiances sur cet album, comme avec le morceau From Passion to Holiness ou An Order to Reclaim. L'ambiance vient beaucoup des textes et de leur dramatisation par Julien, notre chanteur, aussi. Il a essayé de varier sa voix pour coller à l'esprit de chaque chanson et ça y contribue beaucoup.
Sur A Maze Of Recycled Creeds il y a une touche plus thrash, plus old school que sur les précédents albums. Quelle en est l'origine ?
M. P. : Ca doit être pour s'éloigner le plus possible du metalcore j'imagine (rires) ! Sérieusement, je ne sais pas trop, il y a un espèce de renouveau du thrash ces dernières années, avec des nouveaux groupes qui tuent comme Revokation, Municipal Waste, Vektor, Angelus Apatrida. C'est des groupes que j'adore, du coup je m'y suis remis aussi. A chaque fois, en live, c'est ce genre de son qui me met la banane, alors je suppose que j'ai voulu mettre de cette bonne humeur dans ma musique. Et puis c'est quand même une grosse partie de ma culture, j'ai grandi avec Metallica, Slayer, Coroner, Suicidal Tendencies, c'est normal de rendre hommage un peu !
Sur cet album il est question... d'Erik Satie ! Peux-tu nous expliquer son lien avec la musique et le concept ?
M. P. : C'est assez compliqué. Le sujet de l'album est l'auto-endoctrinement au travers d'un personnage Josephin Pelladan, qui créa une société dont a fait partie, un temps, Erik Satie. Il a composé pour cette société, l'Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix, des sortes d'hymnes, qu'il a appelé Sonneries de la Rose Croix. L'intro de l'album est la première des trois "sonneries": l'Air de L'Ordre. Je connaissais depuis longtemps l'oeuvre d'Erik Satie que j'adore, mais j'avoue que je n'étais jamais tombé sur ces "sonneries". Quand Julien a découvert ce lien entre Pelladan et Erik Satie, il a eu tout de suite l'idée d'intégrer sa musique à la composition d'un titre ou deux. Je me suis servi de la progression d'accords joyeusement glauque des sonneries pour faire Temple to the Art God, et d'autres mélodies de Satie transformées et cachées, codées, un peu partout sur l'album. Cette idée de code est elle même justement assez employée dans ce genre de société, du coup ça collait parfaitement.
Vous avez un invité sur le disque : Denis Cornardeau qui se charge d'un solo. Pourquoi lui avoir proposé de se charger de cette intervention sur Syncretic Delirium ? Qu'a-t-il apporté de différent que vous n'auriez pas fait sans lui ?
M. P. : Quitte à avoir des invités sur cet album, je voulais que ce soit avant tout des copains. On a tout fait nous même sauf le mastering qui a été fait par un ami à nous Pierre Yves Marani, excellent guitariste également. Je trouvais logique d'avoir aussi comme invité des amis proches. Denis a vraiment joué avec nous en plus, en 2011 si je me souviens bien, on a fait une petite tournée européenne avec lui. C'est de mon point de vue le meilleur gratteux que je connaisse. Il vous scotche avec juste une note, et il peut jouer à peu prés n'importe quoi. Il n'y avait pas beaucoup de place pour des invités sur l'album déjà bien chargé, il y avait juste cette fin de morceau, où je pensais qu'on aurait pu faire un genre de duel de guitare avec Nicolas, mais ni lui ni moi n'a eu d'inspiration au moment d'enregistrer... J'étais sûr que mon ami Denis arriverait à improviser un truc de fou en quelques prises alors qu'il nous aurait fallu des jours pour écrire un truc qui nous satisfasse. Je l'ai appelé un peu à la dernière minute. C'était assez drôle, on s'est retrouvé au studio un dimanche après midi, tous les deux complètement dans le gaz aprés une nuit blanche, il a fait quatre ou cinq prises, on en a gardé que deux et on a monté le solo comme ça.
Vous êtes sur le point de faire une tournée au Canada. Quelles sont tes attentes ? Sera-t-elle maintenue suite à l'annulation de vos dates européennes et la blessure au poignet de Nicolas ?
M. P. : Oui, elle est maintenue, je pense que Nicolas sera remis d'ici là. Ca fait assez peur ce genre de problème, Ben, notre bassiste en a souffert pendant quelques années, c'était une plaie, il devait garder son poignet au repos tout le temps... Dur pour un musicien... Mais s'il fait attention et ménage sa main il devrait être complètement remis. On a tellement envie de retourner au Canada ! Franchement c'était la meilleure partie de notre tournée nord-américaine de 2013. On avait fait juste quelques dates à l'Est et une à Vancouver mais l'accueil était partout génial. Il y a une trés trés bonne scène Death Technique au Canada avec des groupes comme Martyr, Beyond Creation, Beneath the Massacre, ArchSpire, Quo Vadis, Cryptopsy... Il y a un public pour cette musique là bas donc on est trés content de commencer la promo de ce nouvel album là bas !
Gorod - A Maze Of Recycled Creeds
Listenable
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