Le rock (en) français n'a plus d'icone. Café Bertrand s'en fiche car lui cela fait 25 ans qu'il trace sa route en totale liberté. Au moment où paraît Qu4tre, son nouvel album, nous avons pu discuter avec Walther Gallay de cette galette abrasive et remplie de guitares bouillonnantes.
Nous avions publié une interview de Café Bertrand à l'occasion de la sortie de leur album "Les mains dans l'encre" il y a quelques années. La sortie de leur opus Qu4tre est l'occasion de nous pencher à nouveau sur cet excellent groupe de Rock français !
Votre nouvel album marque un anniversaire important du groupe : 25 ans. 25 ans, des dizaines de musiciens à tes côtés, des moments de joie intense, des péripéties graves : tu as tout connu. Quel regard portes-tu sur ce quart de siècle ?
Walther Gallay : C'est vrai qu'en 25 ans, le groupe a vécu pas mal de grands moments, ponctués aussi de périodes plus délicates, mais la particularité de Café Bertrand est que nous nous donnons les moyens d'être toujours là, quoi qu'il arrive. Ce groupe c'est ma vie, toute ma vie et j'espère que ça le restera encore longtemps. Je ne pensais pas devoir changer de musiciens, notamment de guitaristes, aussi souvent mais ce groupe est une machine de guerre exigeante, une loco qui ne s'arrête jamais. Heureux sont ceux qui prennent le train en marche et s'investissent plus que de raison, car c'est un gros défi que de rentrer dans ce groupe et de travailler un répertoire de plus en plus large au fil des albums et de pouvoir se faire sa place !
Ces 25 années ont donc été ponctuées de magnifiques moments, de fou-rires, de scènes gigantesques ou microscopiques, de galères parfois aussi bien entendu, mais nous ne retenons au final que le meilleur et jamais je ne regretterai quoi que ce soit avec CafB, tant dans le choix des musiciens que du staff qui nous accompagne sur les tournées.
On a fait 5 albums qui correspondent tous à une période donnée, et chacun a été conçu avec la foi qui nous animait à ce moment-là. Ces 25 ans sont passés à une vitesse incroyable et j'espère que les 25 prochaines seront aussi intenses et productives ! Il faut le noter aussi, nous ne serions pas arrivés là sans le soutien de notre éditeur qui ne nous a jamais lâchés et toujours soutenus, quelles que soient les tempêtes.
Comment oublier les fans du groupe qui ont très largement soutenu cet album via Kiss Kiss Bank Bank, eux aussi sont une des raisons majeures de la longévité de CafB. "Tant qu'on sera capables, on vivra en jouant" (À force d'hivers)
Qu4tre est un disque extrêmement vivant, très dynamique. Quelles ont été tes sources d'inspiration ?
W. G. : Cet album est un peu spécial pour moi dans le sens où j'ai pour la première fois pratiquement tout composé. Nous avions un mot d'ordre pour ce skud, nous voulions faire un album facile à jouer, qui nous ressemble dans ses énergies, ses intentions. Pour avoir ce côté naturel, il fallait que je compose des rythmiques qui ne seraient pas une tanasse à jouer sur scène ensuite, ça c'était important pour moi. C'est un album simple à jouer en fait, c'est ce qui le rend difficile, la technique on s'en frappe, le feeling on ne veut que ça !
Comme d'habitude je pioche dans l'actu délirante de ces dernières années ou dans ma vie perso pour en sortir des thèmes, ensuite je torture les syllabes et les expire avec le souci permanent de ne pas pondre de textes "bateaux". C'est une façon poétique de pouvoir parler de choses qui me touchent, en bien ou en mal, certains textes sont travaillés avec le temps, d'autres se posent sur la feuille en cinq minutes, il y a donc du travail souvent et un peu de magie parfois, la vie qui m‘entoure est donc grande source d'inspiration.
On pourrait parler de nombreuses chansons sur le disque mais évoquons Hey Man. Pourquoi avoir décidé de parler des attentats terroristes ? As-tu réfléchi longtemps avant de te décider sur l'angle à adopter ?
W. G. : C'est une très bonne question et un attentat terroriste est un pléonasme non ? En effet ce titre a été le sujet de grandes discussions notamment entre Yuri et moi. Fallait-il en parler ou occulter tout ça ? On a choisi d'en parler vu que tout le groupe était prêt à assumer ce titre, selon son accueil en concert et le dernier live nous a montré qu'on a bien fait. "L'enfer" est aussi un titre sur les attentats mais avec un angle encore différent, et je pense sincèrement que ceux qui lisent vraiment les textes n'ont pas besoin d'explication de texte, une vraie chanson, c'est un texte que l'on peut s'approprier et comprendre comme bon nous semble après tout !
J'étais à Paris la veille de l'attentat, j'accompagnais Deep Purple au Zénith de Paris et la fin de soirée à l'hôtel était top, il y avait U2, Deep Purple, Thomas Dutronc, mon pote Stéphane Avellaneda (batteur de Ana Popovic, qui a joué les batteries de mon album solo Stigmates en 2014) et nous avions prévu d'aller voir la bande à Bono le samedi à (l'ex) Bercy, Foo Fighters le dimanche, et puis il y a eu cet attentat au Bataclan le lendemain. Tout a été annulé, la bonne humeur et le moral de tous aussi. J'étais avec mon éditeur à 30 minutes de Paris et on a pris une sacrée claque. Je me souviens avoir eu les larmes aux yeux devant les infos. L'écriture de ce titre avait débuté avec l'affaire Charlie en Janvier mais j'avais mis le texte de côté, il y avait trop à dire ou pas assez et j'ai soigneusement évité de citer les évènements, je ne voulais pas qu'on me prenne pour un opportuniste qui saute sur la moindre occasion pour tenter de faire un buzz, je l'ai réécrit au moins 10 fois avant de la ranger dans un tiroir. Après la tragédie du Bataclan, peut-être parce que c'était dans un concert et que je me sentais encore plus concerné, va savoir, j'ai ressorti ce texte et j'ai juste choisi de chanter mon ressenti, «Hey man… pourquoi tu fais ça ?". Nous avions un peu peur de l'accueil de ce titre mais il apparait au final comme un titre incontournable de cet album. Je suis heureux de voir que beaucoup ont compris l'angle choisi, la poésie, aussi noire soit-elle et cette volonté de dire "putain j'comprends pas !" mais autrement.
Quels sont les autres thèmes importants traités sur le disque ?
W. G. : Qu4tre est un album où des thèmes récurrents reviennent, les liens qui nous unissent dans ce groupe (La Route), la came et le sexe (Instants Suspendus), l'actu en général (Avec Tout ça), la trahison (Disparu), l'amour qui s'en fout (Ca ne change rien), la lutte incessante des indépendants que nous sommes (La Rage) mais aussi des choses plus nouvelles comme le pardon (Tu Sais Quoi), le temps qui passe (A force d'hivers), le regret (l'odeur de l'enfance) ou encore les migrants qui se font refouler à quasi toutes les frontières (C'est pas parce que). Bref, il y avait matière.
Parlons un peu guitare. Comment définirais-tu ton rôle aux côtés de Fredo Rogante qui s'est chargé des guitares lead sur le disque ?
W. G. : Mon rôle est avant tout d'être guitariste rythmique mais sur cet album j'ai enregistré plusieurs guitares, même lead. C'est la première fois que je joue un solo (L'odeur de l'enfance) ou des lead (C'est pas parce que / Avec tout ça). Avant tout, ma guitare c'est un rôle de soutien pour mes textes, Fredo lui, a eu pour mission de poser des lignes avec le talent qui le caractérise : c'est à lui de chanter avec ses 6 cordes quand je ferme ma gueule et de balancer les thèmes et solos de cet album. Mon rôle est de chanter et de tenir la baraque avec Yuri et Alain quand les thèmes lead arrivent. Il faut savoir être devant, mais derrière aussi pour que tout le monde ait sa place.
As-tu parfois envie de te mettre plus en avant niveau guitare dans le groupe ? On sent régulièrement que Café Bertrand bouillonne mais finalement rares sont les moments où les parties instrumentales se déchaînent.
W. G. : Sur l'album c'est un vrai choix que d'avoir shunté ou avorté quelques solos. Cet album est fait pour être sublimé en live et si on voulait avoir une petite chance de passer sur certaines radios, il nous fallait sortir du carcan "solos à donf" comme ça a été le cas sur d'autres albums. Chaque concert de CafB est différent et chaque titre s'habille d'un manteau à chaque fois différent. C'est sur scène que nous improvisons de folie, que nous déroulons des solos beaucoup plus longs. Le but de cet album était de mettre la voix en avant, beaucoup plus que sur tous les autres albums. Ma gratte elle, entoure mon chant et le soutient et c'est avec le temps que j'ai imposé de plus en plus mon jeu, sur les conseils de Yuri et Alain qui m'ont fait comprendre que mes rythmiques, à moitié manouches ou rock, étaient celles qu'il fallait à CafB. Depuis 3 ou 4 ans, je joue 5 à 6 heures de guitare par jour et j'ose maintenant jouer seul en acoustique (Alice et L'enfer)
Quel matériel as-tu utilisé pour l'enregistrement de Qu4tre ?
W. G. : J'ai joué la plupart des titres avec ma fidèle Télecaster qui me supporte depuis 15 ans. Pour certains autres titres, j'ai emprunté la Gretsch de Fredo (Avec tout ça, C'est pas parce que) et niveau effets je n'ai pas grand-chose : une disto Muddhoney Dual T-Rex II, une AB Box Fender, et surtout mon Vox AC30 ! J'ai cherché assez longtemps les bonnes lampes, les bons appairages pour avoir le son que je veux et j'ai trouvé mon bonheur, le bon compromis entre l'attaque que je peux insuffler au manche, je peux passer d'un son clair à un crunch voire une bonne disto simplement en appuyant plus, j'aime cette relation physique avec ma gratte et avoir 12 pédales, ce n'est pas pour moi (rires) !
Votre public a gagné pas mal de fans de hard rock avec notamment vos prestations en première partie de Deep Purple. Quels éléments de Qu4tre sont-ils susceptibles d'aimer ?
W. G. : Très franchement je ne sais pas. Tu sais, jouer avec Purple ou AC/DC nous a peut-être fait gagner des fans venus du hard ou du metal mais ça date ! Nous attendions les réactions quand on a sorti "Les Mains Dans L'encre" en 2012 et on est arrivés à la conclusion suivante : ceux qui suivent CafB le font pour les grattes certes, mais surtout pour les textes, de plus en plus rares en français dans le rock et nous avons été heureusement surpris de constater une constance dans leur engouement. Après, s'il faut absolument citer un ou deux titres sur cet album, je dirais que C'est pas parce que et Disparu sont les plus punks, les plus agressifs musicalement. Après on a toujours revendiqué faire du rock et pas du hard français ou du metal !
Vous avez annoncé Qu4tre avec une tournée. Néanmoins, à part une masterclass à Nancy, pour le moment rien ne vient. Que nous prépares-tu (rires) ?
W. G. : Il y a eu le concert de sortie de l'album le 28 Avril et la célébration de nos 25 ans dans cette salle qu'on adore et où l'on joue toujours les dates importantes, le Kfe Quoi à Forcalquier et c'était grand soir. Ce concert était voué à jauger l'efficacité de la résidence engagée quelques jours plus tôt dans le même lieu. La masterclass à Nancy était super aussi mais ces deux dates étaient calées à l'avance. La sortie tardive de Qu4tre ne m'a pas permis de caler des dates estivales, la tournée que nous visons débutera donc mi-septembre. Tu sais, pour l'instant, on envoie de la matière aux programmateurs et aux tourneurs, les retours sur l'album sont bons et nous avons à cœur de faire encore une, voire deux résidences pour peaufiner le nouveau show. Je pars avec Fredo au Liban en Juillet, nous allons caler une tournée là-bas (avec un passage au fameux festival de Baalbeck), et puis il y aura des salles en France et en Suisse dès septembre et je l'espère nombre de festivals l'été prochain, sans omettre la troisième édition du Live Chez Toi Tour qui se déroulera en Avril/Mai 2018. J'organise toutes les dates du band tout seul depuis des années, c'est vraiment pas évident, et j'espère un jour tomber sur un tourneur sérieux qui saura qu'ici se cache un trésor.
On parle d'un nouvel album solo à venir. Que peux-tu nous en dire ? Envisages-tu des collaborations ?
W. G. : Mon deuxième album solo est déjà composé depuis plusieurs mois et je ne le sortirai qu'en début d'année 2018 pour ne pas empiéter sur CafB, pour avoir le temps d'enregistrer les 12 ou 13 titres maquettés, de faire mixer et masteriser ça par Alain qui a fait un taf de dingue sur Qu4tre et sur Stigmates. Il y aura des guests bien entendu, certains habitués comme Roger Glover et Don Airey (Deep Purple) ou encore Jean-Paul Avellaneda (Mercy) ou Michaël Borcard (Penfield) et si nous avons le temps de nous organiser, Thomas Dutronc devrait venir jouer une chanson. Quelques autres figures du rock, notamment hexagonal, sont envisagées aussi, mais il est un peu tôt pour en dire plus. Le but n'est pas de faire le cake avec des invités prestigieux pour au final ne rien faire derrière et se branler sur un album mais bel et bien d'enregistrer des rencontres, des feelings, des envies communes.
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