Café Bertrand – Force Rock

Publié le 09/02/2012 par Maritta Calvez
Parce qu’il ne saurait vivre autrement, Walther Gallay monte Café Bertrand il y a 20 ans. Les Mains dans l’encre, 3e album sous le label Rock Revolution, marque une étape importante dans l’évolution du groupe. D’abord parce que tous les intervenants et les membres du nouveau line-up y ont travaillé dur et avec la même optique, ensemble, les mains dans l’encre… Mais aussi -parce qu’on n’échappe pas à son destin- c’est l’album attendu, « l’après tournée Deep Purple ». Argh, faut l’assumer quand même ! Si Café Bertrand tourne depuis toutes ces années, c’est que Walther déploie une énergie inouïe, j’allais dire sans précédent, n’exagérons rien, mais pas si fréquente chez les artistes, c’est certain. Il ne compte sur rien ni personne, que sur lui-même, à la seule force de son mental, sa force rock.

 Que représente pour toi Les Mains dans l’encre dans le cheminement du groupe ?
Walther : Cet album a deux sens. C’est un retour au rock EN français qui se rapproche des Airs empruntés qu’on a fait en 2005. Je joue avec les frères Quintero depuis 2 ans maintenant qui sont des amis depuis plus de 20 ans. Cet album a été épuré, on a évité de mettre un milliard de guitares comme sur L’Art délicat du Rock & Roll où j’étais obligé de scander les textes et de les hurler. Là, tout a été conçu pour accompagner le texte. Il est simple, sans prétention, on fait du rock.
Et puis c’est un virage parce qu’on a gagné beaucoup de fans à tendance hard rock avec les tournées Deep Purple et AC/DC qu’il ne fallait pas décevoir. Ils ont pu écouter les nouveaux morceaux en live et apparemment, ils sont ravis. J’espère qu’on a réussi à prendre ce virage. L’attitude qu’a Café Bertrand aujourd’hui sur scène draine plus de gens qu’avant parce qu’on se sent totalement libres, on improvise. Il y a de l’autodérision dans le groupe, du professionnalisme et beaucoup d’amour, beaucoup d’amitié. C’est important.

Vous êtes éloignés géographiquement, néanmoins, vous arrivez à trouver votre rythme ?

Walther : C’est un peu paradoxal par rapport à avant. Café Bertrand était un groupe qui travaillait énormément avec 3, 4 répet par semaine, c’était dingue. On a fait ça des années ce qui a fait évoluer le groupe. Mais avec l’expérience, après 18 ans sur les routes, les frères Quintero sont arrivés et on s’est dit qu’on n’allait pas se prendre la tête. Ce sont des musiciens monstrueux, ils ont écouté les morceaux deux fois et à la première répet, ils ont envoyé tout le répertoire comme si on en avait fait 10 ! La fréquence de nos répétitions est donc de 3 ou 4 par an.
Mais c’est peut-être ça le secret finalement. Si chacun est pro, bosse de son côté et veut s’investir dans le groupe, ça marche. La distance fait qu’on est conscients de devoir donner le meilleur de nous-mêmes quand on se retrouve, on doit être en forme, et sur scène, on l’est à 100 %.

Tu portes une attention particulière à tes textes. S’ils ne sont pas engagés, il y en a une trame de fond, comme dans En guerre par exemple ?

Walther : Je n’ai pas la prétention ni la connaissance assez prononcée du terrain ou de la politique pour pouvoir m’engager. Café Bertrand est un groupe apolitique. Les thèmes des chansons sont difficiles à trouver. Je m’inspire de bribes que j’entends. Quand un Président de la République devant 7 cercueils dit « Vous n’êtes pas morts pour rien », je n’arrive pas à l’entendre… tu meurs toujours pour rien. La preuve, rien n’avance. Mon frère était militaire, il est parti 10 ans au Kosovo, au Tchad. J’ai vécu 10 ans en flippant qu’on m’appelle pour dire « Votre frère est dans un sac plastique ».
En guerre m’est venu parce que je me suis mis à la place d’un mec qui a signé. C’est facile de signer pour 5 ou 10 ans, mais quand il se retrouve sur le terrain, il n’est plus au chaud chez lui, il est dans la boue, dans un pays étranger et doit flinguer des mecs, c’est son boulot… J’avais cette image du mec debout dans les tranchées qui voit le front au loin avec des potes qui courent, et qui se dit « C’est peut-être pas eux, ils n’ont peut-être pas tort, autant tomber tout de suite plutôt que de vivre des trucs comme ça ».

Pas engagé, mais concerné alors ?

Walther : Concerné, oui bien sûr.

Hormis le fait que tu aies choisi Ils ont voté de Léo Ferré parce qu’à ta connaissance, il n’avait pas encore été repris, c’est un vrai choix de texte ?
Walther : Ce n’est pas innocent évidemment, ça permet de souligner les élections à venir et de rappeler que l’anarchie ne date pas d’hier et qu’elle est encore là, j’espère. Quant au choix, on tournait en rond, tout le monde a été repris, Bashung, Gainsbourg, Brel, Brassens… On fait du rock EN français, pas du rock français. Je précise toujours parce que le rock est anglais, c’est donc du rock en français, il nous fallait reprendre un groupe ou un artiste Français. Mon producteur m’a envoyé une vidéo de 1964 de Léo Ferré avec cette chanson. On était en studio à ce moment-là et on a décidé de l’enregistrer sur le vif pour ne pas être trop influencé. Yuri, qui est batteur normalement, l’a écoutée, a pris la guitare sèche, a fait toute la partie guitare, puis on est allés en cabine et on a enregistré d’un trait, en live pour qu’il soit vrai et ressenti. Dans quelles conditions a été enregistré l’album ?
Walther : Nous voulions l’enregistrer début 2011, mais le Studio Elisa à Forges-les-Eaux avait des problèmes de calendrier, ce qui nous a obligés à repousser l’enregistrement des instrus. On s’est dit que ce n’était pas grave et qu’on allait prendre le temps de tourner les morceaux en live. L’enregistrement s’est donc fait là-bas la 1ère quinzaine de juillet. Ensuite, on a fait les voix dans notre studio, Le Garage, du 15 au 30 août. C’est Yuri qui s’en est chargé. On a essayé de sortir de ce que j’avais l’habitude de faire. Puis Alain, le bassiste, a mixé tous les titres en novembre et masterisé en janvier. Contrairement aux albums précédents, on a pris le temps de refaire les guitares, le chant, de changer les chœurs, d’écouter et de digérer tout ça, histoire d’être sûrs de l’album qu’on sort.

Avec quelles guitares ?
Walther : Je joue de la guitare depuis 25 ans, mais je fais les trucs de base, je suis trop fainéant pour être guitar-hero ! J’ai appris la guitare pour soutenir mon chant, c’est tout. Ça m’aide à composer. Je joue toujours avec la même gratte, une Telecaster sur un ampli Vox AC30 de 1970. J’ai une pédale T-Rex Mudhoney. C’est Nico qui règle mon ampli, ma pédale, ma guitare sur scène parce que je suis un peu un boulet avec le matos ! Lui, il joue sur une Fender Jazzmaster et une Les Paul de 71. Mais pour l’album, il en a utilisées 7 ou 8 différentes. Au studio, il y avait un mur entier de guitares d’un autre monde ! Il les a toutes essayées en pensant que pour tel morceau, telle guitare sonnera… Il s’est fait plaisir !
Le studio met des basses à disposition également. Alain les a essayées lui aussi, mais en définitive, il a gardé sa basse qui a été faite par le luthier Stephan Barillon. Ça doit faire 5, 6 ans qu’il l’a, et il n’en trouve pas d’autres qui soit aussi malléable, aussi efficace.

Pour ceux qui sauraient pas encore, vous êtes le seul groupe de rock EN français ( !) qui a fait la première partie de la tournée de Deep Purple 2006-2007, deux stades avec AC/DC. Tu as dit « j’ai appris plein de trucs ». Oui mais quoi ? D’autant que tu as le recul maintenant ?
Walther : Exactement. Mais je vais dire la même chose que celles qui m’ont frappées sur le moment. J’en retiens l’humilité. Quand tu tournes avec des gens comme Deep Purple, que tu vois le niveau des mecs et qu’ils sont si accessibles, ils sont d’une gentillesse terrible, humbles et redoutables sur scène. C’est en les voyant là, ensemble, en train de boire des coups avant de monter sur scène que j’ai compris qu’on ne devait plus se prendre la tête. Maintenant, on se détend complet, on prend les choses comme elles viennent et on se fait confiance les uns les autres. Roger Glover m’a expliqué qu’ils se voyaient une fois par an avant de tourner, ils se mettent d’accord, sans même monter le matos, mettent tout ça en live, ils jouent, et c’est parfait ! C’est l’expérience, tout simplement. Mais il fallait vivre le truc.
J’ai discuté des changement de line-up aussi et je me suis rendu compte que quelle que soit l’importance du groupe, tous les groupes vivent la même chose. Un line-up est très dur à tenir parce qu’on gère des êtres humains, c’est imprévisible, il faut faire en sorte que l’alchimie tienne.

Infatigable, en plus de créer, de gérer le groupe à 100 %, de booker les dates, de chroniquer des albums, de soutenir des groupes, et j’en passe, tu as créée une association, Le Collectif des Cafteurs et Joe Walton Booking…

Walther : J’ai toujours été très attentif à la scène indépendante française, je suis un grand fan de rock ! Au début des années 90, il y avait beaucoup de collectifs qui existaient, les théâtreux, les musiciens se mélangeaient, c’était génial. Après avoir remonté Café Bertrand en 2003 dans le sud de la France, je me suis dit qu’il fallait faire un Collectif pour échanger des contacts, jouer ensemble selon les situations géographiques de chacun, soutenir et élargir nos réseaux. Je me suis aperçu que c’était compliqué de trouver des dates, tant pour Café Bertrand que les autres groupes. J’ai donc monté Joe Walton Booking qui a la licence II et III. Maintenant, je peux organiser des concerts, j’ai créé le festival des Cafteurs, le Live chez toi tour.  Tu peux nous expliquer son principe ?
Walther : J’ai fait un montage de tournée qui allait être difficile à booker au niveau des hôtels par exemple, genre le 5 à Lille et le 6 à Montpellier. J’ai donc pensé à demander aux gens de faire la promo de la tournée, de distribuer des fly et de nous accueillir chez eux pour la nuit. Ça nous permettait de parler avec eux. C’était une tournée très humaine avec une grande proximité. Ça a marché de façon fantastique ! C’est d’ailleurs ce qui a décidé les frères Quintero à rester dans CafB. Oui, c’est du gros boulot, mais maintenant que je me suis lancé, il faut continuer.

On ne peut pas ne pas parler de la scène et de ton rapport avec le public. De plus cette année va être marquée par les 20 ans de CafB ?
Walther : Oui, nous allons fêter les 20 ans de CafB en invitant des gens qui y ont participé, qui ont fait grandir le groupe. Nous jouerons entre autres des morceaux que nous ne faisons plus sur scène.
On a la chance d’avoir un public de folie, un noyau dur de vrais fans qui nous aident beaucoup à faire découvrir le groupe. On n’a pas de gros moyens, notre label est indépendant. C’est Gérard Drouot qui nous a présentés pour Purple. On n’aurait jamais eu ce plan sans eux, ils ont pris le risque quand ils auraient pu s’en foutre royalement. Heureusement, il y a encore des gens bien… On choppe des gens qu’on a réussi à accrocher avec le cœur et qui nous font notre promo. C’est pour ça que je suis très présent sur le Net. On travaille surtout sur le réseau indé. Autant bosser avec des gens qui nous ressemblent.

Un mot de la fin Walther ?
Walther : Je me rallie à l’incompréhension de certains programmateurs pour dire que les gens se plaignent souvent qu’il n’y a pas assez de concerts, mais ils ne se bougent pas quand un concert se passe à 2 bornes de chez eux. Je veux bien que Sarkozy ait foutu des flics tous les 5 mètres sur la route, mais il faut savoir vivre encore. Achetez des disques, allez en live, vous passerez des soirées où vous rencontrerez des gens, beaucoup plus qu’en restant devant la télé. Il faut soutenir les festivals, les salles, les artistes qui se produisent et participer à la culture de son pays, parce qu’un pays sans culture, ce n’est plus un pays. Si ça continue, on va nous enlever le bruit de la mer…


Les Mains dans l’encre
(l’album et le Pack collector en pré-commande, dans les bacs le 13 février). Label Rock Revolution Records
Walther Gallay : Chant / Guitare / Harmonica
Nicolaï Quintero : Guitare/ Backings
Alain Pérusini : basse
Yuri Quintero : batterie / Backings

Matos

Guitares de Nicolaï : Fender Jazzmaster, Fender Telecaster, Fender Stratocaster, Gibson Les Paul standard 71, Martin.
Amplis : Vox AC15 CC1X, Vox AC30, Fender Twins
Pédales : les distos : Amp 11 Lovepedal, Dr Swamp T-Rex, Xotic RC Booster
Effets: delay Head Rush, wah wah vox. 

Suite de l'interview, Franck Stromme. (page suivante)
Franck Stromme, c’est ce personnage intense, vrai, sans concession donc, pas d’illusions ni d’artifices, Franck, ce ne sont pas des lumières de scène ou du soleil qu’il capte, c’est la lumière de l’âme qu’il photographie, ce qui l’anime c’est l’humain et le discours qui va à l’endroit de ses actes et de ses engagements. Franck, « c’est du lourd » comme dit Walther.

Allez, vite fait et en vrac et j’en suis désolée, mais le travail de Franck c’est Sprinsgsteen, Bowie, Prince, Bashung, Gainsbourg, Balavoine, Coluche, mais c’est aussi le départ vers des conflits tels que l’ex-Yougoslavie, la Bosnie, le Liban, le Kosovo…, un reportage sur le VIH Le Regard ou l’image de soi, et encore, et encore… Venons-en au fait, c’est aussi Un monde à gagner, des chaines à perdre, le reportage-documentaire sur Café Bertrand qu’il a suivi pendant 2 ans, et ce n’est pas fini. Encore en montage, et de nouvelles aventures à vivre et à filmer, un extrait est disponible ici http://www.dailymotion.com/video/x2lh7g_cafe-bertrand-teaser-n-1-film-docu_music#rel-page-3
Regard de Franck Stromme vers Walther Gallay

Franck : « Quand on s’est rencontrés avec Walther, je ne me souviens même plus si j’avais écouté des morceaux. C’est une rencontre qui ne s’explique pas, on a discuté, on s’est marrés, on a passé du bon temps et on ne s’est plus quittés.
Je lui ai proposé de prendre les caméras et de faire un premier vrai documentaire sur un groupe de rock aujourd’hui, peu importait qu’ils deviennent célèbres ou pas, ce n’était pas le problème. L’essentiel était de témoigner de cette puissance, de toute cette énergie de travail qu’a Walther, toute cette poésie aussi, sa façon de jouer avec les mots.
Un monde à gagner, des chaines à perdre, c’est un reportage sur Café Bertrand bien sûr, mais au final, ce qui en ressort et celui qui est au centre de tout, c’est quand même Walther, et c’est normal puisque c’est lui qui génère tout. Les musiciens et les équipes on changé, Walther est toujours là. Il est l’essence même de ce groupe.
Le métier a énormément évolué, le téléchargement, la communication. Nous sommes dans une société de consommation où les « artistes » font et vont vers ce qui fonctionne, ils s’en foutent. Walther, lui, il fait ce qu’il aime, il exprime avec ses mots tous ses maux, mais aussi ses coups de cœur, ses angoisses, il y a de l’engagement dans tout ça, et de l’implication, du travail, du respect par rapport à des valeurs humanistes. C’est pour ça qu’il y a autant de complicité entre nous, pas de trahison.
J’ai fait des reportages de guerre pendant 10 ans, et avant de le rencontrer lui, je ne trouvais rien de bien, rien d’intéressant, personne. Il m’a en quelque sorte réconcilié avec le rock français. »


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