La mort est un thème récurrent dans l'œuvre de Nick Cave. Gothique initialement puis teintée de religion ensuite. Mais rarement celle-ci aura-t-elle été aussi ancrée dans la réalité que sur Skeleton Tree. En juillet 2015, l'Australien perd son fils de quinze ans, victime d'un accident sous l'emprise de LSD. Même si l'écriture de Skeleton Tree avait déjà été entamée, la peine ressentie a fortement guidé les ambiances de ce seizième album studio. A l'heure où Bob Dylan reçoit le Prix Nobel de Littérature, on est d'autant plus intéressé par les textes d'un des plus grands paroliers, avec Morrissey, encore en activité.
Le sentiment qui se dégage de Skeleton Tree aux premières écoutes est un grand vide. Les arrangements sont stricts, minimes et précieux. Le chant, profond, n'est pas très généreux en nuances. Le nombre de pistes, huit, est très réduit, tout comme la durée totale de l'album, moins de quarante minutes. La pochette rivaliserait presque avec celle de Yeezus en termes de simplicité graphique. Pourtant, irrémédiablement, on est attiré de nouveau vers le disque pour y trouver davantage. Et les portes s'ouvrent sur un opus majeur, un jalon dans la production de Nick Cave au même titre que Let Love In, Murder Ballads ou No More Shall We Part.
L'intensité musicale n'est pas sans rappeler la reprise de Hurt par Johnny Cash. Ajoutez une production électro-rock à la Bon Iver et vous obtenez une idée de la force mélancolique déployée sur Skeleton Tree. Cela commence dès les premières notes avec Jesus Alone, un modèle où Cave déploie ses forces (paroles remplies de one-liners, chant magnétique) tandis que ses Bad Seeds fourmillent dans les détails des arrangements. On revoit tout ce beau monde s'affairer dans 20,000 Days On Earth et on imagine à peu près les différentes sessions à Brighton, Londres et La Frette-sur-Seine. Anthrocene, sorte de jazz chaotique qui partage une lointaine similitude avec le Blackstar de Bowie, est lui aussi un force de force minimaliste.
Pourtant, ce qui peut marcher sur quelques pistes peut aussi complètement se planter sur d'autres. I Need You exploite une boucle mélodique intéressante mais la répétition extrême finit par l'user. Ce n'est ni la faute de l'excellent Warren Ellis ni des qualités intrinsèques de la chanson mais ce morceau, traînant bien trop en longueur, n'est pas de la même trempe que les autres. Pour ne rien arranger, les backing vocals du refrain possèdent un aspect gnan-gnan prononcé que l'album évite si brillamment par ailleurs.
Nick Cave, par le passé, a déjà touché les cieux sur quelques moments de grâce ultime. Into My Arms est une des chansons d'amour les plus belles jamais imaginées, The Mercy Seat continue de fasciner par sa fougue, Where The Wild Roses Grow réunit un duo d'anthologie pour un storytelling sublime... Distant Sky pourrait bien s'ajouter à la liste. En partageant l'affiche avec la Danoise Else Torp, le natif de Victoria, livre de la poésie pour nos oreilles. Sur un fond cristallin de symphonie électronique, les deux chanteurs se renvoient la balle : lui doux et sournois, elle charmeuse et aérienne. Distant Sky berce tout en enivrant. En dehors d'une fin arrivant un peu trop brutalement, c'est un sans-faute.
Skeleton Tree accumule les moments de bravoure. Il transforme un chagrin en une œuvre magistrale, capable de résonner auprès du public de Nick Cave aussi bien que toucher les néophytes. « All the things we love [...], we lose. » chante le Prince Of Darkness sur Anthrocene. Il n'aurait jamais aussi bien porté son surnom.
Discographie :
From Her to Eternity (1984)
The Firstborn Is Dead (1985)
Kicking Against the Pricks (1986)
Your Funeral... My Trial (1986)
Tender Prey (1988)
The Good Son (1990)
Henry's Dream (1992)
Let Love In (1994)
Murder Ballads (1996)
The Boatman's Call (1997)
No More Shall We Part (2001)
Nocturama (2003)
Abattoir Blues / The Lyre of Orpheus (2004)
Dig, Lazarus, Dig!!! (2008)
Push the Sky Away (2013)
Skeleton Tree (2016)
Tracklist de Skeleton Tree (en gras les morceaux essentiels) :
1. Jesus Alone 5:52
2. Rings of Saturn 3:28
3. Girl in Amber 4:51
4. Magneto 5:22
5. Anthrocene 4:34
6. I Need You 5:58
7. Distant Sky 5:36
8. Skeleton Tree 4:01
Nick Cave And The Bad Seeds – Skeleton Tree
Bad Seed Ltd.
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