Pour un artiste qui s’est fait connaître avec une musique expérimentale, répétitive et extrêmement simpliste, Bill Callahan a suivi une trajectoire inhabituelle. Depuis qu’il ne publie plus ses albums sous la bannière de Smog mais sous son propre nom, il semble avoir pris un nouveau départ. Sometimes I Wish We Were An Eagle, son second disque solo, est ainsi marqué par la fraîcheur juvénile de la scène rock / folk nord américaine, celle-là même qui nous a apporté les magnifiques réalisations de Devendra Banhart, Cat Power, Adam Green ou encore Sufjan Stevens. Mais au lieu de défier une de ses pointures frontalement, Bill Callahan emprunte des voies détournées et s’impose directement comme le chanteur référence des jours pluvieux…
Car il y a dans sa musique, une certaine tristesse palpable en filigrane. Pas une tristesse qui vous prend à la gorge et vous impose une cure d’anti-dépresseurs pour vous en remettre, mais plutôt une grisaille nonchalante, presque imperceptible, comme une bruine permanente dans un environnement autrement chaleureux et intime. En même temps, on est prévenu d’entrée de jeu : « I used to be darker / Then I got lighter / Then I got dark again. » Il résume ainsi une carrière déjà longue de dix-neuf ans. Bill Callahan, ça pourrait être le gars qui se pointe avec un paquet de Chamallows, une guitare acoustique et de quoi allumer un feu de camp, histoire de mettre un peu d’ambiance dans une sortie de randonneurs.
Heureusement, il ne le fait pas et préfère plutôt mettre à profit son savoir-faire folk pour la création de compositions flirtant de manière ambiguë avec des penchants orchestraux (ces cuivres…) et avec la lo-fi. Il ne reste de la période Smog que quelques influences dans les mélodies martelant leurs notes, cavalières, dans notre tête et le seul raté du disque, l’instrumental « Invocation of Ratiocination », qui annonce toutefois le sommet final « Faith / Void ». On comprend rapidement, même si on ne parle pas un mot d’anglais, que Sometimes I Wish We Were An Eagle traite d’une rupture sentimentale. Et la musique proposée rend compte de toutes les subtilités que l’on peut traverser dans ces instants-là, entre chagrin oppressant et envies passagères de re-goûter à la vie. Clairement, Bill Calahan dépeint les nuances d’un ciel menaçant de giboulées laissant apparaître quelques percées de soleil.
« My Friend », à ce titre, rend peut-être le mieux compte de ces subtilités. Le morceau le plus pop du disque se révèle aussi un des plus forts dans ses déclarations (« Like two pieces of the gallows / We share a common dream / To destroy what will harm other men / My friend ») que dans son refrain aux progressions mélodiques diablement entraînantes et que dans la diction possédée de Callahan. Elle ferait presque penser par intermittence au Nick Cave de la période Murder Ballads, autrement dit la meilleure période.
Bâti sur une opposition permanente entre simplicité et complexité (les compositions, la concision des paroles, les guitares réduites à leur expression la plus stricte et les claviers amateurs d’une part ; le propos, la densité des ambiances et la technique d’enregistrement de l’autre), Sometimes I Wish We Were An Eagle fait partie de ces disques qui se domptent avec une aisance et un plaisir non dissimulés. Certains diront tout simplement que l’album s’affirme peu à peu comme une addiction. Mais comment ne pas devenir accro à une œuvre qui capte aussi bien une tranche de vie dans tout ce qu’elle comporte de plus innocent et de plus beau ?
Line-up :
Bill Callahan (chant, guitare)
Jaime Zuverza (guitare)
Luis Martinez (batterie)
Bobby Weaver (basse)
Tracklist de Sometimes I Wish We Were An Eagle (en gras les morceaux essentiels) :
1.Jim Cain – 4:39
2.Eid Ma Clack Shaw – 4:19
3.The Wind and the Dove – 4:34
4.Rococo Zephyr – 5:42
5.Too Many Birds – 5:27
6.My Friend – 5:12
7.All Thoughts Are Prey to Some Beast – 5:52
8.Invocation of Ratiocination – 2:41
9.Faith/Void – 9:44
Discographie :
Woke on a Whaleheart (2007)
Sometimes I Wish We Were an Eagle (2009)
Bill Callahn - Sometimes I Wish We Were An Eagle
Drag City
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