Dans un monde de la guitare très empreint de traditions, « un des milieux les plus conservateurs qui soient » dans lequel « le marketing des grandes marques à tendance à prendre le pas sur la recherche et développement » , innover n'est pas chose aisée. Ces mots sont de Patrice Vigier, qui, depuis 30 ans, arpente ce chemin avec sa marque homonyme.
Esprit de contradiction ? Pas vraiment. La vision d'une lutherie mêlant technologie et tradition prend sa source dans l'envie de « chercher des solutions aux problèmes que peuvent rencontrer les musiciens », mettant ainsi la technologie à leur service. Et tant pis si cela implique de partir à contresens d'une certaine frange de l'industrie de la guitare et de la basse.
Une démarche vraiment à contresens ? Pas complètement. A quoi servirait une innovation si elle ne rencontre pas son public et si personne ne l'adopte ? C'est ce que semble nous dire la collection exposée dans le petit musée Vigier aux locaux de la marque, à Grigny (Essonne). Dès le premier coup d’œil, on ne peut que constater une tendance derrière l'évolution des modèles de la marque. En termes de design, l'audace des premiers modèles a évolué vers une forme de conformité aux standards de la guitare électrique tels qu'ils ont été pensés par les deux grand pionniers de ce petit monde.
Une grande place laissée à l'expérimentation
Un paradoxe ? Peut-être ! Une nécessité ? Plus que probable ! Ce n'est très certainement qu'à ce prix que Vigier a pu exister et remplir cette mission de modernisation de la guitare -instrument dont on pense souvent que le tour a déjà été fait-, le crédo de Patrice Vigier.
De l'électronique 18 Volts des premiers modèles Arpège, qui procure un son d'une puissance déconcertante, au processeur de la Nautilus, qui à l'aube des années 1980 préfigurait les futures guitares à modélisation, Vigier s'est inscrit parmi ceux qui ont expérimenté de nouvelles configurations visant toujours plus de polyvalence de l'instrument. Si toutes n’ont pas été pérennisées, certaines sont devenues des standards de la fabrication des guitares et basses Vigier.
C'est dans la fabrication et les équipements de ses guitares que Vigier a le plus expérimenté. Il s'inscrit dans une démarche énoncée par le luthier japonais K. Yairi, sous nos Pleins feux en février 2009, pour qui « c'est un crime contre la nature de produire des instruments de qualité médiocre, pour ainsi dire jetables ».
On pourrait longuement débattre de cette assertion, en particulier d'où se situent les limites entre l'instrument médiocre qui est évidemment à proscrire ; l'instrument abordable qui est nécessaire pour faciliter l'accès à la pratique instrumentale et l'instrument haut de gamme dont personne ne remettra en cause la raison d'être. Néanmoins, concevoir des instruments de qualité qui traversent le temps sans se dégrader reste le rêve de nombre de guitaristes. Un bon instrument qui dure et qui vieillit bien !
La perfection en point de mire
La barre de renfort en carbone en lieu et place de la traditionnelle tige de réglage des manches de guitares est devenu un standard de la lutherie Vigier dans la quête de longévité et de stabilité de l'instrument. Ce que la guitare perd en possibilités de réglage, elle le gagne en stabilité, en résistance et en conductivité. L'adjonction d'une touche en phenowood, matériau composite, et de frettes en inox s'inscrit également dans cet objectif.
L'amélioration de la tenue de l'accord ou de l'ergonomie de la guitare passe quant à elle par des équipements adoptés ou conçus par Patrice Vigier. Dans le but de réduire les frottements qui nuisent à la stabilité de l'accordage, l'usage de la frette zéro a été adopté pour devenir un standard de fabrication de la marque. Le vibrato sur roulement à aiguilles a quant à lui été conçu par Vigier.
Dans cette quête d'un instrument qui vise une forme de perfection, on peut se demander pourquoi les produits de type Earvana ou les systèmes de frettes compensées ne se sont pas un jour ou l'autre retrouvés sur les guitares Vigier. Peut-être que trop d'innovation tue l'innovation ? Ou peut-être que tout n'est que question de choix de la part de Patrice Vigier.
Exister dans « un marché aussi compliqué que celui de la guitare »
Un choix qui semble avoir été plutôt simple et logique à faire a été celui de l'intervention de la technologie et de l'automatisation dans le processus de fabrication des guitares. Et si la visite de l'atelier nous confirme effectivement la place de l'automatisation, on est ravis de constater la place tout aussi importante, voire plus, qu'occupe la main humaine dans la fabrication.
Entre plusieurs phases de séchage naturel et de vérification du degré d'humidité des bois, les manches et les corps modélisés grâce à des outils informatiques sont découpés et usinés à l'aide d'une machine à commande numérique. Mais passée cette étape, c'est une équipe relativement réduite qui s'affaire autour des différents postes de travail que nécessite la fabrication d'une guitare. Les pièces issues de la découpe numérique sont assemblées et finies manuellement pour leur donner leur forme et leur finition définitive.
Cette visite chez Vigier, atelier et musée, a été un moment instructif nous montrant que la guitare made in France a de beaux jours devant elle, mais aussi ce qu'il en coûte pour exister dans « un marché aussi compliqué que celui de la guitare ». Contre le « scepticisme du marché », trouver un équilibre entre les concessions à faire pour toucher une cible suffisamment large et l'envie, le besoin d'innover n'est certainement pas chose aisée. On peut s'étonner qu'en chemin, Patrice Vigier n'ait jamais tenté de s'attaquer à d'autres niches du marché comme l'amplification ou la guitare acoustique. Il y aurait très certainement des paris intéressants à y relever !